Face à l’effondrement de l’État français, une réforme radicale doit être menée autour de la qualité des services rendus à la population.
L’interminable juin 1940 de la santé publique française face au Covid-19 se poursuit. Après la pénurie de masques et de tests, l’absence de mesures d’isolement, le fiasco de l’application numérique, notre pays figure dans les tout derniers du monde développé par le nombre de personnes vaccinées, qui se limite à quelques dizaines de milliers alors que 520 000 doses sont livrées chaque semaine depuis fin décembre.
Cette situation est aberrante. Le retard français dans la vaccination accroîtra le nombre de victimes de l’épidémie qui s’élève déjà à plus de 67 000 morts.
Il achèvera aussi de ruiner notre économie qui perd un milliard par jour en chute de la production et diminution des recettes fiscales du fait des mesures sanitaires et qui ratera le train de la reprise.
L’État porte l’entière responsabilité de cette faillite. Elle est politique, puisque le gouvernement n’a pas préparé un plan de vaccination destiné à protéger au plus vite la population mais un plan de communication pour se prémunir des critiques des opposants à la vaccination.
Elle est médicale, les multiples erreurs dans le volumineux protocole de vaccination s’ajoutant à l’application absurde à la vaccination des procédures d’examen et de consentement requises pour les interventions chirurgicales lourdes ou les essais de thérapie génique. Elle est opérationnelle et logistique avec la pénurie de supercongélateurs et la paralysie des circuits de distribution. Elle est industrielle puisque notre pays, contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Allemagne, à la Chine ou à la Russie, ne disposera pas d’un vaccin développé par un opérateur national avant fin 2021.
La plupart des démocraties ont été télescopées de plein fouet par l’épidémie de Covid-19 qui a mis en évidence leurs fragilités et les failles de leur système de santé. Mais la France, qui est pourtant le pays de Pasteur, reste une exception par le fiasco sans équivalent de sa campagne de vaccination. Les États-Unis ont certes connu un Pearl Harbor sanitaire, mais ils ont confié au Department of Defense l’opération Warp Speed, qui va produire et administrer aux Américains 300 millions de doses de vaccin d’ici fin janvier 2021. Le Royaume-Uni a mobilisé et formé toutes les catégories de professionnels de santé ainsi que des bénévoles, ce qui a permis de vacciner près de 1,5 million de personnes.
L’Allemagne a ouvert 410 centres de vaccination qui traitent 3 000 à 4 000 personnes par jour. Israël aura vacciné la totalité de ses 9,2 millions de citoyens en février 2021. En bref, tandis que tous les pays développés rivalisent pour vacciner au plus vite, y compris pour tenter de remédier à leurs erreurs passées, la France continue à accumuler les blocages, les retards, les incohérences.
Le krach de la santé publique est le révélateur de l’effondrement de l’État dans notre pays. Les causes de cette décomposition sont parfaitement connues : la substitution de la communication à la décision publique ; l’opacité et la complexité des structures de décision organisant l’irresponsabilité généralisée (Conseil de défense sanitaire, HAS, Conseil scientifique, « M. Vaccin », conseil citoyen pour la vaccination, consultants privés…) ; le mépris pour la connaissance, pour les préoccupations opérationnelles et pour la logistique ; le primat de la bureaucratie et du contrôle sur la qualité du service rendu à la population, la réactivité et la prise de risque ; l’arrogance technocratique et la défiance envers les élus comme envers les acteurs économiques et sociaux.
Face à la situation critique de notre pays, la priorité consiste naturellement à revoir radicalement sa stratégie : au lieu de dépenser quoi qu’il en coûte, il faut vacciner à tout prix. Et pour cela homologuer, produire, distribuer et traiter le plus de personnes possible dans le minimum de temps. Mais le problème de fond reste celui de la réforme de l’État, qui constitue l’un des échecs les plus cuisants du quinquennat d’Emmanuel Macron comme de ses prédécesseurs.
L’épidémie de Covid-19 confirme qu’il n’est pas de redressement possible de la France sans une transformation radicale de l’État pour le remettre au service de la nation et des citoyens.
En le recentrant sur la gestion des chocs et des risques propres au XXIe siècle et sur sa mission première, qui est la garantie de la sécurité des Français et la continuité de la vie nationale. En le réorganisant autour de l’effectivité et de la qualité des services rendus à la population et non de la production de normes. En le mettant sous tension pour améliorer sa productivité et maîtriser ses dépenses, tout en les redéployant vers l’investissement. En l’ouvrant vers les élus et la société civile et en faisant le pari de la décentralisation car l’on n’administre bien que de près.
Benjamin Constant affirmait qu’« il ne faut pas d’État hors de sa sphère, mais dans cette sphère il ne saurait en exister trop » : ce devrait être le grand débat de l’élection présidentielle de 2022.
(Chronique parue dans Le Figaro du 11 janvier 2021)