Alors que les tensions culminent entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, Boris Johnson n’a pas d’autre choix que d’obtenir un accord.
Le Royaume-Uni est devenu le premier pays au monde à approuver le vaccin contre le Covid-19 commercialisé par Pfizer. L’agence britannique du médicament en a autorisé l’usage vingt-trois jours seulement après les résultats du stade final des essais cliniques, permettant le lancement immédiat de la campagne de vaccination au fil de la livraison des 40 millions de doses achetées par le gouvernement. La rapidité inédite de cette homologation est présentée comme une illustration des bienfaits du Brexit, contrastant avec la lenteur présumée de l’agence européenne, l’EMA. Elle cherche surtout à faire oublier la gestion calamiteuse de la crise sanitaire et économique par Boris Johnson, qui fait du Royaume-Uni le pays européen le plus touché par l’épidémie.
Alors qu’il n’a été frappé par la première vague qu’après l’Europe continentale, le Royaume-Uni compte plus de 60 000 morts pour 67 millions d’habitants. La récession atteindra 11,5 % du PIB en 2020, soit la plus forte chute de l’activité depuis 300 ans. Le chômage progressera de 3,8 % l’an dernier, à 6,5 % de la population active en 2021.
Sur le plan politique, les restrictions aux libertés suscitent de plus en plus d’opposition, non seulement dans les régions du centre et du Nord, traditionnellement travaillistes, dont le ralliement à Boris Johnson explique son triomphe électoral de décembre 2019, mais aussi chez les conservateurs. Pas moins de 60 députés tories ont ainsi voté contre le dernier plan Covid-19 du gouvernement. Dans le même temps, le Labour revient en force sous l’autorité de Keir Starmer, dont le sérieux et la modération ne cessent de marquer des points après les dérives gauchistes et antisémites de Jeremy Corbyn.
Les tensions culminent avec le Brexit qui est désormais à un moment de vérité. L’absence d’accord serait préjudiciable à l’Union comme au Royaume-Uni. Mais pas dans les mêmes proportions. Ce nouveau choc donnerait le coup de grâce à l’économie britannique dont 46 % des exportations sont réalisées vers le grand marché européen. L’impact serait plus politique pour l’Union, en créant un nouveau motif de dispute entre l’Allemagne et la France.
Boris Johnson n’a donc pas d’autre choix que d’obtenir un accord. Mais sa stratégie tout aussi confuse face aux Vingt-Sept que face à l’épidémie crée le risque d’un « no deal ». Son refus de toute concession se heurte à des réalités objectives. La pêche et l’aquaculture ne représentent que 0,04 % du PIB. La demande que les entreprises britanniques respectent le régime des aides d’État et leurs exportations les normes européennes est légitime pour assurer une concurrence équitable. Le rétablissement d’une frontière entre l’Ulster et l’Irlande, en violation des engagements souscrits avec l’Union, ne manquerait pas d’entraîner la renaissance du terrorisme.
Boris Johnson a entrepris un nouveau revirement. Il a sacrifié Dominic Cummings, l’idéologue du Brexit, pour prendre un tour plus libéral et conforme aux principes traditionnels des tories. Pour autant, il sera rattrapé par le problème fondamental du Royaume-Uni qui réside moins dans le Covid, ou la défaite de Donald Trump, que dans le contresens historique du Brexit et le danger de ses promesses fallacieuses.
Avant même l’épidémie et le terrible choc sur l’aéronautique et l’automobile, l’investissement s’est arrêté depuis 2016. La City, même si elle continue à bénéficier de l’absence de régulation unifiée dans l’Union, et de la compétition entre Francfort et Paris, a perdu des milliers d’emplois et 1 200 milliards d’euros ont déjà été transférés vers le continent. L’économie britannique ne bénéficiera pas du plan de relance européen et sera de plus en plus à la merci des marchés pour financer sa dette. L’interruption de l’immigration européenne est compensée par l’accélération de celle venue d’Asie. Les accords de libre-échange avec le Royaume-Uni ne figurent nullement au rang des priorités des grands acteurs du commerce mondial. L’unité du royaume est directement menacée par la relance de la volonté d’indépendance de l’Écosse et la déstabilisation de l’Irlande du Nord.
Boris Johnson restera pour l’histoire le premier ministre qui a réalisé le Brexit. Mais à quel prix ! Son prédécesseur n’est pas Winston Churchill, dont il se réclame, mais Neville Chamberlain, l’homme qui répondit à la menace mortelle que Hitler faisait peser sur la démocratie et l’Europe par la politique de l’apaisement. Son leadership erratique jure tant avec le passé, notamment les valeurs du Parti conservateur attaché aux libertés et à l’économie de marché que Margaret Thatcher avait exportées vers Bruxelles, qu’avec l’avenir. Winston Churchill a sauvé la démocratie ; Margaret Thatcher a réveillé l’Angleterre et lui a rendu sa fierté ; Boris Johnson a moins fait divorcer le Royaume-Uni de l’Europe que d’avec l’histoire universelle du XXIe siècle. Le populisme est une maladie dégénérative de la démocratie contre laquelle il n’existe pas de vaccin.
(Chronique parue dans Le Figaro du 7 décembre 2020)