La finance mondiale est menacée. La crise s’est en effet brutalement accélérée au cours des derniers jours.
La crise de la finance mondiale a connu ces derniers jours une accélération en quatre temps.
- Le 11 mars, les banques centrales occidentales, Fed, BCE, Banque d’Angleterre, de Suisse et du Canada, ont éprouvé les limites de leurs capacités d’intervention en injectant en vain 200 milliards de dollars de liquidités.
- Le 13 mars, le fonds Carlyle Capital Corporation, créé par l’un des acteurs majeurs du marché du private equity, le groupe Carlyle, s’est déclaré en défaut de paiement à hauteur de 17 milliards de dollars, déclenchant la saisie immédiate de ses actifs par les banques.
- Le 14 mars, au terme de quatre-vingt-cinq ans de profits ininterrompus depuis sa fondation en 1923, Bear Stearns, cinquième banque d’investissement des Etats-Unis, s’est déclarée en faillite et placée sous la sauvegarde de la Fed, qui l’a quasiment nationalisée en confiant sa gestion à JP Morgan tout en assumant le risque financier.
- Le même jour, les paiements mondiaux ont frôlé la rupture avec un violent décrochage du dollar (désormais au-dessous de 100 yens, tandis que l’euro culmine à 1,57 dollar), accompagné par l’explosion des prix du pétrole (111 dollars le baril) et de l’or (plus de 1 000 dollars l’once), qui jouent le rôle de valeurs refuges contre l’effondrement de la monnaie américaine et la hausse de l’inflation.
Le capitalisme affronte sa crise la plus violente depuis les années 30. D’abord, parce qu’elle trouve son origine dans le cœur du système, à savoir les grands pays développés, Etats-Unis en tête. Ensuite, parce qu’elle comprend tous les ingrédients qui peuvent provoquer une déflation mondiale. Un krach boursier de moins en moins larvé. Un dégonflement de la bulle spéculative sur l’immobilier. Une crise bancaire majeure débouchant sur le blocage du crédit et un risque de faillites en chaîne des institutions financières (186 milliards de dollars de pertes enregistrées sur un montant total estimé autour de 600 milliards). Un choc systémique sur les changes et les paiements mondiaux. Soit une configuration qui présente des traits communs avec 1929, quand le jeudi noir de Wall Street se transforma en violente récession aux Etats-Unis à travers quelque 5 000 faillites bancaires provoquées par le durcissement de la politique monétaire de la Fed, puis en déflation mondiale avec l’enchaînement des dévaluations compétitives et des mesures protectionnistes.
Tous les antidotes existent pour enrayer la spirale des pertes et des faillites bancaires, de la récession et du chômage, du chaos des changes et de la remontée des barrières protectionnistes. Mais force est de constater qu’ils tardent à être mis en œuvre, faute d’une compréhension exacte et partagée de la situation et des mesures d’urgence qu’elle appelle. Le risque ne porte pas sur une récession aux Etats-Unis, déjà acquise, mais sur une implosion de l’économie mondiale. La crise présente deux caractéristiques : elle est indissociable de la mondialisation ; elle obéit à une dynamique financière, qui place aujourd’hui les banques et les fonds d’investissement, demain les assurances, en première ligne. D’où trois conséquences. Elle excède les capacités des banques centrales, comme le montre l’efficacité relative des injections de liquidités et des baisses de taux d’intérêt. Elle excède les capacités des seuls marchés et ne peut être résolue sans l’intervention des Etats. Elle excède les capacités des seuls Etats-Unis et ne peut être résolue sans une action coordonnée des démocraties développées, notamment l’Europe et le Japon, et des pays émergents-Chine en tête. La divergence entre la réactivité de la Fed-qui vient de procéder à une nouvelle baisse d’un quart de point de son taux d’escompte et l’inertie suicidaire de la BCE est désastreuse. Sous prétexte de stabilité monétaire, la BCE multiplie les risques sur les banques et les économies européennes, accroît la volatilité des marchés financiers et les tensions sur les paiements mondiaux avec la sous-évaluation du dollar et la surévaluation artificielle de l’euro.
Il faut désormais agir au plus vite et au plus juste. L’urgence va au sauvetage du système bancaire et à l’arrêt de la spirale des ventes forcées d’actifs. Ce qui implique d’élargir la gamme des titres admis au refinancement des banques centrales, de leur permettre de racheter des titres à leur valeur économique, de baisser fortement les taux d’intérêt pour favoriser la reconstitution des fonds propres. Dans le même temps, la Fed, la BCE mais aussi les banques du Japon et de Chine doivent intervenir de manière coordonnée pour soutenir le dollar. Les réserves de change (3 trilliards de dollars, soit 72 % du total mondial) et les ressources des fonds souverains des pays émergents doivent être mobilisées pour dynamiser leur demande intérieure, stabiliser les changes et reconstituer les capitaux des institutions financières occidentales. Enfin, les pays développés disposant d’excédents budgétaires doivent les activer. A moyen terme, une régulation efficace du capitalisme mondialisé est indispensable, qui repose sur l’élargissement du G8 et du FMI aux superpuissances du Sud, une coordination étroite des banques centrales et des gouvernements, une réglementation renforcée des banques, mais aussi des fonds d’investissement et des agences de notation. A l’inverse de la crise asiatique de 1997, cette crise marque le basculement de l’économie mondiale vers le Sud et la fin pour les pays développés d’une croissance à crédit financée par une bulle d’endettement : dans le Nord, pour gagner autant, il va falloir travailler plus.
(Chronique parue dans Le Point du 20 mars 2008)