Après le sauvetage du système bancaire en 2008, l’année 2009 sera dominée par la lutte contre la déflation et la sortie de crise
Le 15 septembre 2008 marque l’acte de décès du capitalisme mondialisé et déréglementé, comme le jeudi noir d’octobre 1929 entraîna la disparition de la norme libérale de l’État minimal. Mais l’apogée de la crise se situera en 2009 avec la plus violente récession du monde développé depuis 1945. La dynamique de la déflation par la dette jouera en effet à plein. L’endiguement du risque de faillite du système bancaire n’empêchera pas l’effondrement du crédit, qui sera à la fois rare et très cher, avec une envolée des primes pour les États, les entreprises et les particuliers. Le krach immobilier connaîtra un début de stabilisation aux États-Unis, mais s’accélérera en Europe, provoquant une chute brutale des patrimoines. L’extension du choc financier aux assurances alimentera la volatilité des marchés boursiers. Enfin, la crise touchera fortement les pays émergents. Les bonnes nouvelles se limiteront à la baisse parallèle de l’inflation (0 % aux États-Unis et 1 % en Europe), des taux d’intérêt (moins de 1 % aux Etats-Unis et environ 2 % en Europe), des matières premières et du pétrole avec un baril autour de 60 dollars. Au total, la croissance mondiale sera limitée à 2 %, avec une récession des pays développés (-0,7 % pour les États-Unis, -0,5 % en Europe, -0,2 % au Japon) et un brutal ralentissement des pays émergents (autour de 5 %).
La France paiera un tribut particulièrement lourd à la crise du fait de la dégradation structurelle de sa compétitivité et du caractère récent des réformes, télescopées et déstabilisées par le choc. L’année 2009 sera placée sous le signe d’un recul de 1 % de l’activité, d’une hausse du chômage au-delà de 9 % de la population active, d’une dégradation spectaculaire des finances publiques (déficit de l’ordre de 4 % et dette autour de 70 % du PIB), d’une stabilisation du déficit commercial autour de 50 milliards d’euros en raison de la stagnation de la consommation, du contre-choc pétrolier et de la progressive résorption de la surévaluation de l’euro. Surtout, la crise fragilise nombre des pôles d’excellence déterminants pour la base productive de la nation : les services financiers avec la banque et l’assurance, l’automobile, l’aéronautique, les biens d’équipement, la construction, la grande distribution ou le luxe.
Après le sauvetage du système bancaire en 2008, l’année 2009 sera dominée par la lutte contre la déflation et le positionnement pour la sortie de crise. Celle-ci devrait se dessiner en 2010, même si la croissance dans les pays développés restera bridée à moyen terme par le lent désendettement des ménages. La qualité des stratégies macro-économiques conduites en 2009 contribuera à façonner le capitalisme de la première moitié du XXIe siècle. Avec pour la France et l’Europe des enjeux décisifs : enrayer son déclin pour la première ; figurer, aux côtés des États-Unis et de la Chine, au nombre des acteurs majeurs du monde multipolaire pour la seconde. Pour l’une comme pour l’autre, la crise représente aussi une chance à saisir. Au moment où le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Irlande éprouvent la fin d’un cycle de croissance fondé sur l’endettement, au moment où l’Allemagne tire le bénéfice de l’Agenda 2010 mais peine à le prolonger compte tenu de tensions qui traversent la coalition dirigée par Angela Merkel, la France dispose d’un fort potentiel de retournement. Et ce d’autant que l’endettement des Français est resté raisonnable et que la nouvelle grande transformation du capitalisme devrait déboucher sur un équilibre entre forces du marché, d’une part, interventions et régulations publiques, d’autre part, qui trouvent un fort écho dans l’histoire nationale.
La politique économique devra relever en 2009 quatre défis. Le premier consiste à articuler les mesures de soutien de l’activité et de l’emploi avec l’amélioration de la productivité, qui constitue le meilleur antidote à la crise : d’où la nécessité d’écarter un plan de relance de la consommation qui n’aurait d’autre effet que de subventionner, comme en 1981, l’emploi au sein des pays exportateurs-Chine et Allemagne en tête-, pour concentrer les dépenses sur les leviers de compétitivité (pôles d’excellence, recherche, universités…). Le deuxième découle de l’obligation d’activer l’ensemble des moyens d’intervention de l’État. Le troisième touche au réglage entre le sauvetage des banques et l’amortissement de la chute de l’activité provoquée par la contraction du crédit, d’une part, la poursuite de l’indispensable effort de désinflation des actifs, de restructuration des entreprises et de désendettement des ménages, d’autre part. Le dernier implique de ne pas ériger des mesures exceptionnelles en norme de régulation du capitalisme et de ne pas prétendre chercher dans les recettes du passé la clé de l’avenir : la réhabilitation de l’économie administrée et du protectionnisme n’améliorerait en rien la régulation du capitalisme mondialisé ; elle amplifierait la dynamique de la déflation et les risques politiques dont elle est porteuse, du populisme jusqu’aux conflits entre nations et continents.
(Chronique parue dans Le Point du 13 novembre 2008)