La France ne doit pas dilapider son ultime chance de reconstruire son industrie à travers une stratégie efficace de relocalisation.
Le Covid-19 a jeté une lumière crue sur la priorité pour les démocraties de relocaliser la production de nombre de biens essentiels, devenue un monopole de l’Asie, et particulièrement de la Chine. Mais la relocalisation est un art tout d’exécution. Or elle est loin d’être gagnée. Toute activité n’est pas relocalisable, soit pour des raisons géographiques (énergie et matières premières), soit pour des raisons technologiques (disparition des compétences et des équipements), soit pour des raisons économiques (trop faible valeur ajoutée). Par ailleurs, l’histoire des politiques de réindustrialisation est jalonnée d’échecs cuisants. Et ce notamment en France, depuis la calamiteuse tentative de reconquête du marché intérieure de 1981. En dépit de la multiplication des plans de soutien, l’industrie a vu dans notre pays sa part dans la valeur ajoutée chuter à 11 % (16 % dans la zone euro et 22 % en Allemagne) et a perdu 2,5 millions d’emplois en un quart de siècle.
Pis, nombre d’entreprises et de technologies stratégiques ont disparu ou sont passées sous contrôle étranger dans l’indifférence.
La situation est aujourd’hui d’autant plus critique que la crise liée au Covid-19 frappe de plein fouet deux de nos dernières filières d’excellence générant des effets d’entraînement majeurs : l’aéronautique et l’automobile dont l’activité chutera respectivement de 31 % et 29 % en 2020. Loin de se détendre, la concurrence s’intensifie par ailleurs sous la pression des guerres commerciales, technologiques et monétaires (l’euro s’est apprécié de 8 % depuis juin), et de la remontée en flèche des tensions internationales.
Et ce y compris au sein du grand marché vers lequel l’industrie allemande, dont l’activité a progressé de plus de 40 % depuis 2000 et qui bénéficie du plan bazooka de 1 300 milliards d’euros, réoriente ses exportations en réaction à la fermeture de la Chine et aux menaces de sanctions américaines.
La France ne doit pas dilapider son ultime chance de reconstruire son industrie à travers une stratégie efficace de relocalisation.
En premier lieu, l’argent public est indispensable et les relocalisations passent par la mobilisation de sommes très supérieures au milliard d’euros du plan de relance. Mais l’argent public restera inutile s’il n’est pas mis au service d’une stratégie en rupture avec les errements passés. Et ce autour de cinq priorités. Cibler les activités à haute valeur ajoutée compatibles avec la structure des coûts français, ce qui est le cas dans la santé ou le numérique. Miser sur les secteurs d’avenir au lieu de tenter vainement de maintenir ou ressusciter les activités du passé. Privilégier les fonds propres qui constituent la première faiblesse des PME et ETI. Intégrer d’emblée la phase d’industrialisation et les rendements d’échelle qui sont la clé de tout développement industriel. Relocaliser par le bas, à partir des compétences et des technologies. Deux exemples illustrent le succès de ce type de démarche. Pendant le confinement, une alliance d’industriels, de chercheurs et de médecins fédérés par un entrepreneur nantais, Quentin Adam, a développé en cinq semaines un respirateur artificiel en open source en divisant son coût par dix. Depuis mai 2020, la filière énergie a lancé des appels à projet aux industriels de l’aéronautique pour mobiliser l’expertise de leurs bureaux d’étude en sous-charge dans les domaines de la chimie, du traitement de surfaces, de la robotique et de la gestion des données.
En deuxième lieu, si l’État ne doit pas interférer dans la stratégie et la gestion des entreprises, il est fondé, comme le font les États-Unis, à contrôler l’exportation des technologies développées avec les fonds publics.
Surtout, il doit construire un environnement favorable car la compétitivité reste la condition première des relocalisations. En desserrant le carcan fiscal et réglementaire. Mais surtout en renforçant les compétences, notamment dans le domaine de l’éducation scientifique tombée en déshérence, en accélérant le déploiement d’infrastructures numériques performantes sur tout le territoire, en proposant un mix d’électricité décarbonée associant nucléaire et renouvelables.
Enfin, la stratégie de relocalisation implique de repenser la politique de la concurrence, la politique industrielle et la politique commerciale pour les mettre au service d’un principe de préférence européenne fondé sur le respect des normes, des règles et des droits fondamentaux de l’Union.
Les relocalisations se feront par les compétences et les technologies, par les entreprises et par l’Europe, ou ne se feront pas.
(Chronique parue dans Le Figaro du 21 septembre 2020)