Alors que la mondialisation avait été portée par l’économie, son implosion a pour moteur la politique et la divergence des cultures et des valeurs.
Xi Jinping a entrepris une tournée pour présenter la nouvelle stratégie économique qui fera l’objet du prochain plan quinquennal de la Chine.
Face à l’hostilité croissante que rencontrent les ambitions hégémoniques de Pékin, elle est placée sous le signe du recentrage sur son marché intérieur, de la réduction de la dépendance extérieure dans les domaines de la technologie, de l’alimentation ou de l’énergie, de la conquête du leadership dans l’industrie numérique. Ce découplage entend répondre à l’offensive, commerciale et surtout technologique lancée par les États-Unis.
Dans cette nouvelle guerre froide, le numérique joue le rôle tenu par l’idéologie dans l’affrontement entre États-Unis et URSS au sortir de la Seconde Guerre mondiale. D’un côté, les États-Unis multiplient les sanctions contre Huawei, ZTE et le fabricant de semi-conducteurs Smic, contraignent TikTok à la vente forcée d’une partie de ses activités, interdisent à WeChat de contracter avec des entreprises américaines, fédèrent une trentaine de pays autour du projet Clean Network, qui entend protéger les infrastructures digitales des intrusions chinoises.
De l’autre, Pékin lance une initiative pour la protection des données qui vise à imposer au plan mondial ses propres normes pour la 5G et pour internet, dont la partition est donc en marche.
La division du cyberespace amplifie et rend définitive la cassure de la mondialisation actée au plan du commerce par les « nouvelles routes de la soie » et les sanctions américaines, au plan industriel par la relocalisation des chaînes de valeur, au plan financier par l’exclusion des entreprises chinoises de Wall Street, au plan idéologique par l’opposition entre la démocratie d’un côté, le total-capitalisme et les régimes autoritaires de l’autre.
Mais les deux géants qui s’affrontent ne sont pas les seuls moteurs de la bipolarisation du monde. Elle touche tous les continents : l’Asie avec l’Inde qui se rapproche du Japon, de la Corée, de Taïwan, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande pour contrer son encerclement par la Chine ; le Moyen-Orient avec un axe entre Israël, l’Égypte et le monde arabe musulman emmené par les Émirats arabes unis qui s’oppose aux pays musulmans non arabes regroupant le Pakistan, l’Iran, la Turquie et la Malaisie ; l’Europe avec l’écart qui se creuse entre le nord et le sud du continent au plan économique, l’est et l’ouest au plan des valeurs.
Depuis 2008 prévaut une dynamique de fragmentation, formidablement accélérée par l’épidémie de Covid-19.
Le monde est en voie d’archipélisation sous l’effet du retour des États et du repli sur les nations – les banques centrales se substituant aux marchés pour financer administrations publiques et entreprises – , de la formation de blocs continentaux, de la désintégration des institutions, des instruments et des règles qui permettaient de conduire une coopération à l’échelle de la planète et de réguler les conflits. Alors que la mondialisation avait été portée par l’économie, son implosion a pour moteur la politique et la divergence des cultures et des valeurs, au premier rang desquelles la liberté.
La fragmentation a pour compagnons de route la polarisation et la confrontation. La pandémie et la récession historique qu’elle a engendrée remettent en question l’attractivité des métropoles comme l’organisation des entreprises et du travail. Elles bouleversent aussi la hiérarchie des nations, des entreprises, des individus. Pour les régions et les pays, l’Asie figure parmi les gagnants, comme le montrent la remarquable gestion de l’épidémie par Taïwan, la Corée du Sud, Singapour ou la Nouvelle-Zélande, comme la vigueur de la reprise des échanges, tandis que les États-Unis s’effacent et que l’Amérique latine connaît une descente aux enfers.
Les secteurs du numérique, de la santé, de l’alimentaire bénéficient de l’épidémie, alors que le transport notamment aéronautique, le tourisme, l’hôtellerie et la restauration sont durablement sinistrés. Les personnes protégées par leur statut, en particulier dans la fonction publique, par la solidité des grandes entreprises ou par la stabilité de leurs revenus sont épargnées, alors que travailleurs indépendants, artisans et commerçants, précaires, jeunes et travailleurs informels sont touchés de plein fouet.
L’archipélisation du monde entraîne une très forte montée des risques et de la conflictualité. Au plan économique, elle se traduit par une baisse de la croissance potentielle, un durcissement de la concurrence et une diminution de la régulation internationale. Au plan géopolitique, la possibilité de confrontations armées majeures, y compris avec une composante nucléaire, augmente fortement. La prospérité, le maintien de la paix, la survie de la démocratie au cours du XXIe siècle dépendent de la réunification des nations et de leur coopération. C’est la chance de l’Europe, qui peut devenir un laboratoire de la conciliation entre souveraineté nationale et intégration continentale, résilience et ouverture, sécurité et liberté.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 septembre 2020)