Si la pandémie de Covid-19 provoque un choc sanitaire dans certains pays, le continent résiste plutôt bien. L’Union africaine est renforcée par la crise.
Au début du XXIe siècle, l’Afrique semblait enfin bien partie pour se développer. Durant la décennie 2000, portée par la mondialisation et par la constitution d’une classe moyenne, elle a enregistré une croissance de 5,5 % par an. Cette dynamique a résisté au krach de 2008, puisqu’en 2018 l’Afrique annonçait une croissance de 3,5 % et comptait 6 des 10 pays affichant la plus forte progression de l’activité dans le monde. En revanche, elle a été télescopée par l’épidémie de coronavirus, qui met aujourd’hui en péril son décollage. Forte de la jeunesse de sa population (4 % de plus de 65 ans) comme de l’expérience acquise avec le sida et le virus Ebola, qui a permis un confinement précoce, l’Afrique semble faire preuve de résilience face au Covid-19. Fin juillet, elle ne compte officiellement que 900 000 cas et 19 000 morts pour 1,2 milliard d’habitants. Mais la concentration des trois quarts des contaminations dans cinq pays (l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria, l’Algérie et le Soudan) montre que le pic est loin d’être atteint. Or les systèmes de santé sont insuffisants, puisque le continent ne dispose que de 5 000 respirateurs et d’une poignée de lits de réanimation.
La tourmente économique est déjà là. En 2020, l’activité diminuera de 4 % en Afrique, alors qu’elle devait progresser de 4,1 % – et ce, alors que la hausse de la population atteint 3 % par an. À la paralysie qui frappe les pays touristiques s’ajoute l’effondrement des cours du pétrole et des matières premières. Simultanément, les capitaux fuient, au moment où aide internationale, investissements directs et transferts des émigrés s’interrompent, bloquant le financement de l’activité. L’ultime crise est humanitaire. Les États africains ne disposent pas des moyens de réassurer les revenus des entreprises et des ménages. Par ailleurs, le secteur informel représente plus de la moitié de l’activité en Afrique subsaharienne. En l’absence de tout amortisseur social, 58 millions de personnes ont basculé dans la grande pauvreté, en plus des 425 millions qui vivent avec moins de 2 dollars par jour, tandis que 15 millions des 200 millions de membres de la classe moyenne sont retombés dans la misère.
Au-delà du choc conjoncturel, les facteurs de long terme qui ont permis le décollage de l’Afrique sont remis en question. L’interruption de la scolarisation laisse craindre le retour de l’analphabétisme. La diminution du revenu par habitant lamine la classe moyenne. L’inversion des flux de capitaux aggrave la pénurie d’infrastructures. Le mouvement d’intégration, symbolisé par le projet de zone de libre-échange continentale africaine – ratifié par 28 pays sur 54 et qui créerait un marché de 1,2 milliard d’habitants et 2 500 milliards de dollars –, est miné par la fermeture des frontières et par le niveau élevé des recettes douanières, qui représentent la moitié des ressources fiscales des États. L’abandon du franc CFA constitue une autre illustration du recul de l’intégration sur un plan régional.
Par ailleurs, la crise économique, sociale et humanitaire alimente les conflits ethniques, religieux ou interétatiques. L’islamisme profite de la déliquescence des États, du retrait des États-Unis et de l’enlisement de la France au Sahel. Les tensions entre gouvernements s’aiguisent, à l’image de la confrontation qui se dessine entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan pour le partage des eaux du Nil Bleu autour du barrage de la Renaissance.
Pour autant, il existe des signes d’espoir qui peuvent permettre à l’Afrique de poursuivre son décollage. Tout d’abord, si les économies de rente adossées à des pouvoirs autoritaires sont particulièrement touchées, les pays qui bénéficient d’une économie diversifiée et d’une gouvernance de qualité – le Maroc, le Togo, le Ghana ou le Rwanda – devraient rapidement renouer avec le développement. Ensuite, l’épidémie renforce l’Union africaine. Sur le plan financier, une initiative inédite de renégociation unifiée de la dette à l’échelle du continent a été engagée avec les prêteurs. Elle devrait aboutir à une extension du moratoire sur les paiements pour les États et à la création d’un fonds pour racheter les emprunts privés décotés. Sur le plan sanitaire, une plateforme continentale a été créée pour gérer commandes, paiements et logistique pour le matériel de protection et les équipements médicaux.
Pour l’Europe, l’Afrique constitue un enjeu vital, tant en termes de croissance potentielle, de démographie (2,5 milliards d’Africains pour 530 millions d’Européens en 2050 et 4,5 milliards d’Africains pour 510 millions d’Européens en 2100) que de sécurité – qu’il s’agisse de djihadisme ou d’encerclement par les démocratures chinoise, russe et turque. Il revient donc à l’UE de se saisir de l’épidémie de Covid-19 pour déployer une stratégie de soutien à l’Afrique. Avec pour priorités la révolution technologique (microcrédit ou soutien du revenu sous forme de monnaie électronique via les téléphones mobiles peuvent être mobilisés pour aider les plus pauvres), le financement des infrastructures et du secteur privé, le désendettement des États, l’appui à l’intégration du continent. La pandémie de coronavirus nous rappelle que, à l’âge de l’histoire universelle, notre prospérité comme notre sécurité et notre santé dépendent de l’interaction et de la coopération entre les hommes, les nations et les continents. Le XXIe siècle sera bien celui de l’Afrique puisqu’un homme sur trois y vivra. Il est de notre intérêt à tous qu’il soit placé sous le signe du décollage économique et de la sécurité et non sous celui de la misère et de la violence.
(Article paru dans Le Point du 6 août)