Une dynamique de la peur frappe le pays. Elle installe une défiance générale et renforce la paralysie de l’État.
La France, en raison du défaut d’anticipation et de réactivité de l’État, a été contrainte de confiner sa population du 17 mars au 11 mai pour endiguer l’épidémie de coronavirus. Le prix à payer par les Français a été gigantesque tant sur le plan sanitaire – avec plus de 30 000 morts mais aussi la dégradation de l’état de santé du fait de l’arrêt des soins et les séquelles psychosociales du confinement – que pour l’économie – avec une chute du PIB de 12 %, une remontée du chômage à 12 % de la population active et une dette publique de 121 % du PIB à fin 2020.
Le déconfinement a été placé sous le signe d’une double illusion. La démesure policière du confinement a débouché sur un grand relâchement des mesures sanitaires, oublieux du fait que la circulation du virus s’intensifie sur le territoire national, que l’épidémie continue à progresser dans le monde, qu’il n’existe pour l’heure ni immunité collective, ni vaccin, ni médicament. Le déluge d’argent public et le sursaut technique de l’activité, tirée par la consommation et la construction, ont ancré la conviction d’un retour rapide à la normale. Or il n’en est rien.
Le rebond n’est pas une reprise qui suppose une synergie entre les différents moteurs de la croissance : la consommation, l’investissement et les exportations. L’amélioration de la conjoncture reste chaotique, hétérogène – avec le sinistre persistant du tourisme, des transports, de la culture – et déséquilibrée – puisque l’industrie ne fonctionne qu’à 80 % de ses capacités, que l’investissement est en chute de 40 % et que les exportations stagnent. Par ailleurs, se profile à partir de septembre un mur des faillites et du chômage en raison de la suppression de plus d’un million d’emplois d’ici à la mi-2021.
La sortie très lente de la grande interruption liée au confinement et le retard dans le redémarrage de l’activité s’expliquent par la contagion de la peur. L’épidémie a joué là aussi le rôle de révélateur et d’accélérateur plutôt qu’elle n’a marqué une rupture. Surplombées par quatre décennies de décrochage, l’économie et la société françaises ont abordé les années 2020 minées par la peur du déclassement, de la révolution technologique et du changement climatique, de la mondialisation et de l’Europe, de l’insécurité et de l’étranger.
Le traumatisme créé par la faillite sanitaire de l’État, la posture anxiogène adoptée par les pouvoirs publics et entretenue par les médias, l’infantilisation des citoyens ont propagé la peur plus rapidement encore que le virus.
Peur des citoyens devant les incertitudes persistantes touchant la lutte contre l’épidémie et la confusion des décisions concernant les masques ou les tests. Peur des ménages devant la récession et le chômage qui les conduisent à épargner massivement – avec une collecte record des Livrets de 22,4 milliards d’euros en cinq mois. Peur des entreprises qui sabrent dans leurs prévisions, stoppent tout investissement, coupent dans leurs effectifs et rapatrient la sous-traitance.
Peur des banques devant l’accumulation des créances potentiellement douteuses. Peur des salariés qui ne sont que 73 % à être en activité à fin juin et qui plébiscitent le télétravail. Peur des touristes et des entreprises étrangères qui considèrent la France comme un pays à haut risque. Peur des dirigeants devant les actions pénales, faute d’avoir clarifié le régime de responsabilité des élus et des chefs d’entreprise.
Cette dynamique de la peur est dévastatrice. Elle installe la défiance de tous envers tous et renforce la paralysie de l’État, qui reste incapable de mettre en œuvre sa stratégie (« tester, tracer, isoler, soigner ») et de s’adapter aux évolutions de l’épidémie. Elle alimente une dynamique déflationniste. La croissance potentielle de l’économie française avant l’épidémie était en effet réduite à 0,9 %.
Elle sera amputée de 0,7 à 0,8 % par les coupes sombres dans l’appareil productif. Comme la population française augmente de 0,3 % par an, le revenu par tête va diminuer de 0,1 à 0,2 % par an. Soit l’amorce d’une spirale de décroissance que ne pourra pas désarmer le plan de relance, même abondé par 40 milliards de subventions de l’Union européenne.
La France constitue de ce point de vue une exception parmi les pays développés, y compris méditerranéens qui, à l’image de l’Italie, de l’Espagne ou de la Grèce, ont ouvert leurs frontières et relancé l’activité grâce à une stratégie sanitaire efficace et claire.
La priorité n’est pas de cultiver la peur en brandissant la menace d’une deuxième vague et d’un reconfinement général, mais de mettre en place une stratégie cohérente permettant d’assurer la continuité de la vie de la nation face à une épidémie qui va durer. Le rétablissement de la sécurité sanitaire passe par cinq mesures : un suivi épidémiologique précis par profil de malades et par territoire permettant des confinements ciblés ; la systématisation du port du masque dans les villes, les lieux touristiques et les transports ; la mise en place effective de la stratégie « tester, tracer, isoler, soigner » (ce qui implique la mobilité des tests, une quarantaine pour les malades, et l’arrêt de StopCovid au profit d’une application réellement efficace) ; l’exigence d’un test PCR 48 heures avant le départ et la réalisation d’un test PCR à l’entrée sur le territoire national avec quarantaine obligatoire et contrôlée pour les malades ; l’unification des procédures sanitaires au sein de l’espace Schengen.
Cessons d’avoir peur et de subir. Agissons en remettant l’État au travail, en déployant enfin une politique sanitaire crédible, en mobilisant les Français au service de la relance.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 juillet 2020)