Covid, pétrole… Vladimir Poutine, tout à sa détermination à se maintenir au pouvoir, multiplie les erreurs. Sans voir que sa popularité s’érode.
Vladimir Poutine, comme Xi Jinping, met à profit l’effacement des États-Unis et la division des démocraties pour avancer à visage découvert. L’année 2020 marque ainsi le retour de Dieu et du tsarisme dans la Constitution russe. Imposé par Boris Eltsine en 1999 alors qu’il était un parfait inconnu, Vladimir Poutine entend présider aux destinées de la Russie jusqu’en 2036, année de ses 84 ans, fort de la révision constitutionnelle – approuvée le 1er juillet par 78 % des voix au terme d’un référendum frauduleux – qui autorise sa réélection en 2024 et 2030. Jamais le pouvoir de Vladimir Poutine n’a paru plus absolu à la tête d’une démocrature devenue la référence de tous les autocrates. Jamais pourtant il n’a été aussi fragile.
La crise provoquée par la pandémie semble conforter les orientations de principe de la démocrature russe. La désintégration du multilatéralisme et le retour en force de l’État et des frontières valident le choix d’un pouvoir vertical revendiquant le primat de la stabilité sur le droit. La remontée en flèche des risques stratégiques, sur fond de nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine, légitime une politique impériale fondée sur la puissance militaire, renouant avec la maxime d’Alexandre III selon laquelle « la Russie n’a que deux alliés : son armée et sa flotte ». Enfin, la paralysie de la majorité des démocraties face au choc sanitaire, économique et politique confirme la profondeur de leur crise, justifiant le pari effectué sur leur déclin à travers le soutien aux forces populistes, la multiplication des cyberattaques et la manipulation des opinions via les réseaux sociaux.
Mais, contrairement à la Chine, la Russie fait partie des grands perdants de l’épidémie. Le pays en a perdu le contrôle, notamment dans les métropoles, avec un nombre de victimes certainement plus élevé que le bilan officiel de 12 500 morts. La situation prend un caractère dramatique en raison de l’effondrement de la démographie et du système de santé. Dans le même temps, le PIB a plongé d’un tiers au deuxième trimestre et un Russe sur dix a perdu son emploi, tandis que 40 % de la population voit fondre ses revenus. Aucune reprise n’est attendue avant 2022, faute de plan de relance, et l’économie se trouve désormais sous la menace d’une longue stagnation de type soviétique, du fait de sa faible productivité, de sa dépendance aux hydrocarbures et de l’échec systématique de ses tentatives de diversification.
Or la responsabilité de Vladimir Poutine est directement engagée dans ce désastre. Tout à l’orchestration de la manipulation de la Constitution, à la préparation de la parade commémorant le 75e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, à la revendication par l’usage de la force armée du premier rôle en Europe et au Moyen-Orient, le président russe s’est enfermé dans le déni du Covid-19. Après avoir tardé à réagir, il a donné la priorité à la préservation de l’activité. Puis, face à la perte de contrôle de la situation, il s’est défaussé sur les gouverneurs de région sans pour autant leur accorder de moyens supplémentaires.
À la sous-estimation du Covid-19 Poutine a ajouté l’erreur majeure de vouloir engager une épreuve de force avec l’Arabie saoudite sur le marché pétrolier, qu’il a spectaculairement perdue. La chute du baril à 16 dollars a asséché les ressources de la Russie, lui interdisant de mettre en place un programme de soutien de son économie et la contraignant à réviser ses interventions extérieures, notamment en Libye.
L’aide sanitaire apportée à l’Italie et à la Serbie pour des raisons politiques ainsi que le déchaînement de la corruption ont achevé de saper la popularité de Poutine, à qui moins d’un Russe sur quatre fait aujourd’hui confiance. Venant après les manifestations de protestation des classes moyennes depuis 2011, le mécontentement provoqué par la réforme des retraites en 2018, les mouvements pour la défense de l’environnement, la montée des critiques devant la multiplication des guerres sans fin, la pandémie a creusé un profond fossé entre un pouvoir de plus en plus isolé et une société de plus en plus incontrôlable. Le culte de la personnalité dont Vladimir Poutine fait l’objet masque ainsi la double impasse d’un régime dont la seule logique est la perpétuation du pouvoir d’un homme et d’une posture internationale de plus en plus dépendante du partenariat avec la Chine – très déséquilibré en faveur de cette dernière, qui effectue une percée en Sibérie comme chez les anciens alliés de l’URSS séduits par les nouvelles routes de la soie.
Sous la rhétorique de la grande puissance, l’affaiblissement de la Russie est plus rapide et profond encore que celui des États-Unis. Car plus le monde change, plus la Russie reste immobile, prisonnière des contradictions que symbolise l’aigle à deux têtes. Sa politique de puissance et ses ambitions impériales butent sur un État autoritaire, qui détruit la société et oppresse ses citoyens, ainsi que sur la malédiction d’une économie de rente. Sa stratégie est dictée par la guerre à l’Occident, auquel elle rêve d’appartenir. La déification de Vladimir Poutine se résume ainsi au mariage du pire de l’autocratie tsariste et du soviétisme.
(Article paru dans Le Point du 23 juillet)