Dette hors de contrôle, chômage de masse, État-boulet, défiance envers le politique… Notre pays s’engage sur la (mauvaise) voie romaine.
De 1494 au traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, les rois de France, fascinés par le développement, la richesse et la civilisation des principautés italiennes, s’engagèrent dans un cycle de guerres sans fin. Elles tournèrent au désastre, épuisant le royaume. En revanche, elles provoquèrent une vive accélération du progrès technique, de l’artillerie à l’imprimerie, qui fit éclore la Renaissance française, marquée par un extraordinaire rayonnement des arts, des lettres et de la langue nationale.
Aujourd’hui, de nouveau, la France semble prendre l’Italie pour modèle. Mais une Italie devenue l’« homme malade » de l’Union européenne et de la zone euro, rongée par le déclin démographique, la stagnation économique, la décomposition de l’État et de la nation. Depuis la création de l’euro, la croissance de l’économie italienne a été limitée à 0,2 % par an, et la richesse par habitant n’a progressé que de moins de 3 % contre 30 % en Espagne. Sous la pression de la mondialisation, nombre d’entreprises ont été réduites à l’état de zombies, faute d’investissement et d’innovation, ce qui a fragilisé les banques. L’État fonctionne sur un modèle clientéliste. Les citoyens ont perdu toute confiance dans la classe politique, basculant vers les partis populistes.
La pandémie a porté le coup de grâce au pays en dévastant la Lombardie et la Vénétie, régions les plus modernes et les plus productives, en déstabilisant le tourisme, qui représente 20 % du PIB, et l’industrie manufacturière, en faisant bondir l’inactivité, qui touche 14,6 millions de personnes, en actant la faillite de l’État, pris en tenailles entre la perte de contrôle de la dette, qui culmine à 160 % du PIB, et la concurrence de la mafia, plus efficace pour voler au secours des PME. Venant après la crise de l’euro, les flux de migrants et la gestion déplorable des catastrophes naturelles ou industrielles, la tourmente du Covid acte l’incapacité de l’Italie à s’adapter à la nouvelle donne du XXIe siècle.
Le paradoxe veut que la France, qui a fait preuve d’une arrogance sans pareille, d’une inconséquence et d’une absence de solidarité coupables face à la crise sanitaire italienne, se trouve désormais en voie d’italianisation accélérée.
Les deux pays affrontent une récession comprise entre 11,5 et 13 % du PIB. Mais c’est surtout sur le plan structurel que la France se rapproche de l’Italie. La démographie chute depuis le démantèlement de la politique familiale, et la jeunesse se trouve de plus en plus reléguée, condamnée à la précarité ou à l’exil. Les gains de productivité et la croissance potentielle sont quasiment nuls. Un chômage permanent s’est installé qui touche plus de 10 % de la population active. La dette publique s’élèvera à 121 % du PIB à la fin de 2020 et devrait rapidement atteindre 140 % du PIB, selon la Cour des comptes. Et ce faute de maîtrise des dépenses des administrations qui représenteront cette année les deux tiers du PIB, supplantant la production d’entreprises exsangues qui ont accumulé 1 800 milliards d’euros de dettes.
La France partage ainsi avec l’Italie un modèle économique insoutenable, une dette sortie de tout contrôle, une situation de risque systématique pour l’Union et la zone euro. Notre pays commence aussi à recourir au maquillage de ses comptes avec le cantonnement de la dette Covid, dont l’objectif est de réduire artificiellement le niveau de la dette globale et de préparer les esprits à l’idée qu’elle ne sera pas remboursée.
La convergence entre la France et l’Italie ne se limite pas à la stagnation de l’économie et à la dérive financière. L’État est devenu un fardeau pour la nation, du fait de son improductivité, de son inefficacité et de son incapacité à gérer les crises. La qualité des services publics se dégrade et devient de plus en plus hétérogène en fonction des territoires. La paralysie et la perte de légitimité de l’Etat débouchent sur une crise démocratique majeure, marquée par le désengagement des citoyens – illustré par l’abstention de 59 % lors du second tour des municipales –, la défiance envers les institutions et les dirigeants, la montée de la tentation autoritaire. Le vide de leadership et de stratégie encourage la désintégration de la nation, qui se traduit par l’explosion de la violence apparue avec le mouvement des Gilets jaunes puis les grèves contre la réforme des retraites.
La France est donc à un tournant de son histoire. Soit elle poursuit dans la voie de l’italianisation en s’endettant pour acheter quelques années supplémentaires de fausse paix sociale. Soit elle met la relance européenne au service de sa reconstruction. Cela implique de conjurer les chimères de la décroissance et du renoncement aux libertés pour rassembler autour d’une ligne claire donnant la priorité à la production et à l’innovation, à l’intégration des jeunes, à la réforme de l’État et à la réhabilitation de ses missions régaliennes, à la décentralisation et au réengagement des citoyens dans la démocratie. La reconstruction de la France, vitale pour les Français, l’est aussi pour les Européens. Nul ne peut être certain que l’Union et l’euro survivront au naufrage de l’Italie. En revanche, chacun sait qu’ils disparaîtront si la France confirme sa transformation en une grosse Italie.
(Article paru dans Le Point du 9 juillet)