Restaurer notre économie semble impossible face à l’explosion de la haine sociale et la remise en cause des institutions et des valeurs républicaines.
L’épidémie de Covid-19 n’accouche pas d’un nouveau monde, elle accélère les grandes transformations du XXIe siècle : la désintégration de l’Occident, l’ambition hégémonique de la Chine, la restructuration de la mondialisation en blocs régionaux, la révolution numérique. Elle renforce également la polarisation entre individus, entreprises, nations et continents.
La France figure parmi les principaux perdants. Elle est entrée dans cette crise très affaiblie : alors qu’elle peinait à surmonter les conséquences du krach de 2008, elle a été durement touchée par la vague des attentats djihadistes, par le mouvement des « gilets jaunes » puis par les grèves contre le projet de réforme des retraites. Elle se trouve aujourd’hui déclassée, cumulant la pire récession du monde développé avec une baisse de 12 % du PIB, le retour d’un chômage de masse touchant plus de 12 % de la population active et une dette publique culminant à 121 % du PIB à la fin de 2020.
Il ne s’agit plus de réformer, mais de reconstruire notre économie.
Or cette reconstruction est rendue impossible par l’explosion de la haine sociale, la décomposition de l’État, la remise en cause des institutions et des valeurs de la République. Les forces qui minent la société explosent avec le déconfinement. La dynamique de ressentiment et de violence qui fut libérée par la jacquerie des « gilets jaunes » redouble d’intensité, renouant avec le rituel des saccages en marge des manifestations. Les affrontements communautaires s’ajoutent aux guerres entre gangs liées au trafic de drogue, comme on le voit à Dijon ou à Nice.
Les dérives identitaires et la perversion de l’antiracisme débouchent sur une entreprise totalitaire de réécriture de l’histoire et sur la négation des principes républicains, au premier rang desquels l’égalité et la fraternité.
Il ne suffit pas de réassurer l’économie en soutenant les entreprises et les revenus. Il est essentiel de garantir la paix civile qui constitue, avec la défense de la souveraineté de la nation, la responsabilité première de l’État.
Or celui-ci se trouve, comme l’armée française en juin 1940 face aux chars de Guderian, paralysé par la médiocrité de son commandement, par sa défaillance stratégique et par son carcan bureaucratique.
L’État s’est transformé en une machine à distribuer l’argent public sans autre stratégie ni projet que de dépenser quoi qu’il en coûte, désormais à hauteur des deux tiers du PIB. Après avoir failli dans la gestion de l’épidémie, avec pour dernier ratage l’application « StopCovid », après avoir laissé s’installer un droit de retrait de l’action publique à la discrétion de ses agents – notamment dans l’éducation et la justice -, il affiche son impuissance face à la violence, abandonnant aux citoyens le soin de se protéger comme il a laissé les soignants affronter seuls le krach de la santé publique dans hôpitaux et Ehpad.
L’État est devenu, par sa lourdeur, son autoritarisme et son impotence, un démultiplicateur des risques qui caractérisent le XXIe siècle. Et ce en raison de la déliquescence de ses fonctions régaliennes, qui constituent plus que jamais l’angle mort du quinquennat d’Emmanuel Macron.
La justice, fait unique au sein des démocraties, a, dans son immense majorité, suspendu toute activité pendant trois mois, considérant qu’elle ne constituait pas une activité essentielle à la vie nationale. La crise de la police atteint un point critique, touchant sa légitimité, ses doctrines d’intervention, son organisation et ses fonctionnaires, parmi lesquels on déplore 750 suicides en dix ans. Les forces de sécurité intérieure ont renoncé à maintenir la paix civile pour se transformer en greffier des désordres publics. Notoirement sous-financées et sous-équipées, nos armées ne sont plus en état de faire face au changement de nature et d’intensité des menaces, au moment où la garantie de sécurité des États-Unis à l’Europe disparaît.
La France est à la croisée des chemins. Par lâcheté, elle est en passe de faire le choix par défaut de la décroissance et de la paupérisation, de la guerre civile froide et du déclassement. L’heure est donc à la révolte contre ces renoncements.
La reconstruction économique passe par la priorité donnée à la production, au travail et à l’investissement, sacrifié par les plans de soutien alors qu’il chute de 40 %. Elle est indissociable de la réhabilitation de l’État régalien.
La nécessité de forger un nouveau pacte politique, économique et social exige une forte capacité de leadership et un État efficace. Dans ses Mémoires de guerre, de Gaulle juge en ces termes l’attitude d’Albert Lebrun en juin 1940 : « Au fond, comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État. » En 2020, la débâcle sanitaire, économique et civique place les Français devant le même constat et la Ve République devant la même contradiction.
(Chronique parue dans Le Figaro du 22 juin 2020)