Notre pays risque de sortir déclassé de la crise du Covid-19. Un plan de relance ne suffira pas à le redresser.
L’épidémie de coronavirus constitue pour nous une rupture historique. Et le déconfinement va faire la vérité sur la catastrophe. En France, le recul du PIB, qui a atteint 5,8 % au cours du premier trimestre 2020, est le plus important en Europe, notamment du fait de l’effondrement de l’activité dans l’industrie, qui n’a fonctionné qu’à 63 % de sa capacité. La chute de la production s’amplifiera pour s’élever à 25 % au premier semestre, en raison du caractère rigide du confinement, du flou entretenu sur les conditions sanitaires de travail et de la générosité du régi me de chômage partiel. Notre modèle économique fondé sur la consommation comme notre structure productive, où l’aéronautique, l’automobile et le tourisme jouent un rôle clé, sont touchés de plein fouet. Enfin, notre économie est entrée très affaiblie dans cette crise après le mouvement des Gilets jaunes et les grèves contre la réforme des retraites. Les entreprises ne disposaient que de fonds propres très limités ; le déficit et la dette publics culminaient à 3 % et 100 % du PIB fin 2019. L’année 2020 s’achèvera avec une chute du PIB de 11 à 12 %, une remontée du chômage autour de 10,5 à 12 % de la population active, un déficit et une dette publics de 15 % et de 120 % du PIB.
Surtout, le décrochage sera durable car la disparition de très nombreuses entreprises, en particulier dans le commerce, l’artisanat et l’hôtellerie-restauration, ainsi que l’installation d’un chômage structurel amputeront la croissance potentielle. La France ne retrouvera donc pas son niveau de richesse de 2019 avant 2023, au mieux. La diminution durable de la production, la forte contraction du secteur privé, qui ne représentait plus que 44 % du PIB, et le retour du chômage permanent entraîneront une baisse du niveau de vie pendant plusieurs années. Elle est indissociable d’une montée de la pauvreté et des inégalités. La gestion calamiteuse de l’épidémie par les pouvoirs publics, qui se prolonge avec la pénurie persistante de tests et le projet mort-né d’application numérique, a créé une défiance inédite des Français envers leurs dirigeants. Simultanément, le « juin 1940 » de la santé a délégitimé un État autoritaire et centralisé, inefficace et déconnecté des réalités. Ce discrédit freinera la relance et, s’ajoutant à la crise économique et sociale, ouvrira un espace aux populistes dans la perspective de 2022.
La France sortira de l’épidémie déclassée. Au sein de l’Europe et de la zone euro, elle est désormais un pays du Sud dont le recul de la production et l’emballement de la dette menacent la survie de la monnaie unique. Son incapacité à maîtriser l’épidémie compromet ses ambitions à peser comme puissance. Le cas de la France relève aujourd’hui moins d’une stratégie de relance que d’un projet de reconstruction. Il reste indispensable de mobiliser toutes les forces du pays, à commencer par le travail, pour limiter d’ici à la fin de l’année l’énorme déficit de production. Mais notre pays doit surtout, comme en 1945, se remettre en question pour inventer un modèle qui lui soit propre et qui assure sa prospérité et sa liberté dans un XXIe siècle dominé par les risques globaux. Il nous faut reconstruire notre économie autour de la production et non de la consommation, de l’innovation et non de la rente. Il nous faut reconstruire notre État autour de la capacité à gérer les crises et non à dépenser. Il nous faut reconstruire une communauté de citoyens autour de l’éducation et du civisme et non de la quête de fonds et de privilèges publics. Il nous faut reconstruire l’Europe comme puissance dans un monde où la liberté est menacée et où les démocraties ne bénéficient plus de la réassurance des États-Unis. Il existe cependant une différence majeure avec l’après-Seconde Guerre mondiale : ce n’est plus l’État qui peut piloter la reconstruction de la France, c’est aux Français d’en prendre l’initiative et de la réaliser.
(Article paru dans Le Point du 21 mai 2020)