La mutualisation des dettes est une lubie politique. En pratique, les moyens alloués par la BCE et la Commission européenne sont massifs et efficaces.
L’Europe est le continent le plus touché par l’épidémie de coronavirus. Sur le plan sanitaire, elle compte 60 % des décès enregistrés dans le monde. Sur le plan économique, elle connaîtra un recul de l’activité estimé à 7,5 % dans la zone euro en 2020, contre une récession de 5,5 % aux États-Unis et une croissance réduite à 1 % en Chine. La crise accélère par ailleurs la divergence entre le nord et le sud du continent.
L’excellente gestion du choc par l’Allemagne et les marges de manœuvre que lui assure le rétablissement de ses finances publiques lui permettront de limiter la chute de l’activité à 4,2 % du PIB et de rebondir dès 2021 avec une hausse de l’activité de 5,8 % grâce à un plan de soutien inédit mobilisant 1 200 milliards d’euros. À l’inverse, la France décrochera, avec une chute de 10 % du PIB, l’explosion du chômage, une dette et un déficit publics culminant autour de 12 et 120 % du PIB. L’Italie présentera, elle, un risque systémique avec une baisse de 9,6 % du PIB et une dette s’élevant à 180 % du PIB – soit le niveau de la Grèce en 2009.
L’Union affronte donc une heure de vérité. Elle a échoué dans la réaction à l’épidémie. Passé la sidération, la riposte au choc économique a cependant été beaucoup plus rapide que face au krach de 2008. La BCE a mobilisé 1 100 milliards d’euros pour éviter toute pénurie de liquidités. L’Union a appuyé les plans de soutien nationaux en activant la clause dérogatoire du Pacte de stabilité et en engageant 540 milliards d’euros.
La construction européenne jouera son avenir avec la phase de sortie de crise. Le seul moyen d’y parvenir consiste dans une relance coordonnée, adossée à un plan de relance massif. La Commission européenne en a conscience, qui a élaboré un programme de 2 000 milliards d’euros. Le projet a été présenté le 23 avril, mais son financement reste dans les limbes, bloqué par la volonté de la France, de l’Italie et de l’Espagne de le faire reposer sur l’émission de coronabonds. Pour les pays du Sud, ils permettent de protéger les États les plus touchés par l’épidémie tout en contrant la poussée populiste par l’affichage de la solidarité entre Européens. Pour les pays du Nord, ils représentent le cheval de Troie d’une union de transfert qui rendra leurs contribuables redevables des États en déficit chronique, déchaînant leurs propres extrémistes.
La charge politique placée sur les coronabonds se révèle une profonde erreur. Ils sont inutiles car la mutualisation des dettes dans la zone euro est réalisée par la BCE à travers ses achats de titres publics et parce que les États les plus vulnérables peuvent faire appel aux ressources du mécanisme européen de stabilité. Ils sont inadaptés car leur mise en place prendrait beaucoup de temps. Ils sont dangereux car ils ouvrent la porte à un financement par l’endettement de l’Union de politiques nationales, encourageant la dérive des dépenses publiques. Ils sont politiquement dévastateurs car ils exacerbent les tensions entre le Nord et le Sud au moment où l’unité et la solidarité sont indispensables.
Le projet des coronabonds tente d’instrumentaliser la crise du coronavirus pour faire avancer un agenda politique qui vise à faire réassurer par l’Europe du Nord les dettes de l’Europe du Sud au moment où elles explosent. Une approche plus pragmatique et opérationnelle devrait prévaloir. Que voulons-nous faire ? Créer les conditions d’une relance puissante et stable, maximiser l’atout majeur du grand marché et prévenir une divergence explosive dans la zone euro. Comment y parvenir ? Intégrer le plan de relance dans les outils existants en rehaussant le budget européen de 1,2 à 2 % du PIB, en mobilisant les fonds structurels pour aider les pays vulnérables et la BEI pour soutenir les entreprises. Mettre en place une aide aux pays du Sud associant prêts et subventions et comprenant des objectifs précis en termes d’investissement, de recherche, de transition écologique et de résilience.
Les coronabonds sont le chant du cygne de la méthode Monnet, qui se servait des crises pour faire avancer l’intégration à travers des transferts masqués de compétences. L’Europe doit se repenser autour de la souveraineté et de la sécurité avec l’accord explicite des citoyens et des nations qui la composent.
(Article paru dans Le Point du 30 avril)