Les efforts déployés par Pékin pour vendre au monde sa gestion exemplaire de la pandémie ne suffiront pas à masquer ses manquements.
Par un étonnant paradoxe, la Chine semble le principal gagnant de l’épidémie de coronavirus née à Wuhan, tout comme la finance américaine sortit renforcée du krach de 2008 qu’elle avait engendré. Mais, de même que les États-Unis ont été emportés par le populisme déchaîné par la crise financière, la Chine pourrait voir sa position fragilisée par sa responsabilité dans l’origine et le développement de la pandémie.
La crise sanitaire, sous sa gestion présentée comme exemplaire par Pékin, a souligné la nature totalitaire du régime, indissociable du mensonge et de la violence d’État. Il est aujourd’hui acquis que l’épidémie a été occultée pendant plus de deux mois – qui furent décisifs dans sa propagation. Les données sur les contaminations et les décès ont par ailleurs été tronquées. « La vérité doit s’inspirer de la pratique. Il faut corriger la vérité d’après la pratique », enseignait Mao Tsé-Toung. L’injonction a été strictement appliquée par Xi Jinping. La Chine n’a comptabilisé dans les victimes que les décès intervenus à l’hôpital, excluant les morts à domicile qui, sur la base de la révision du bilan à Wuhan, représenteraient le tiers des disparitions. Surtout, seuls ont été pris en compte les morts n’ayant contracté que le coronavirus – hors les cas de comorbidité qui, selon les études épidémiologiques chinoises, constituent 72 % des décès à l’hôpital. Le nombre réel des victimes en Chine serait donc au minimum de 25 000 personnes au lieu des 4 632 annoncées.
L’économie chinoise est repartie mais souffre d’un déséquilibre entre l’offre, reconstituée à 90 % par la reprise autoritaire du travail, et la demande, qui reste amputée de moitié. La consommation intérieure ne redémarre pas – malgré les aides aux ménages – en raison de la peur du chômage, des baisses de salaire et de la hantise d’être reconnu par les outils de contrôle numérique comme positif au Covid-19, ce qui entraîne une quarantaine immédiate. La crise a fourni par ailleurs l’occasion d’un développement fulgurant des nouvelles technologies. L’État subventionne à hauteur de 1 million de yuans toute entreprise innovant dans un projet lié à l’épidémie, il a raccourci les procédures d’homologation, systématisé les services publics en ligne et développé les partenariats avec le secteur privé, à l’image du passeport sanitaire pour les chauffeurs et les automobilistes géré par Alibaba. Une floraison de percées est intervenue. Comme dans la télémédecine avec la transmission des examens en 5 ; dans l’utilisation des drones pour les livraisons ou le contrôle du trafic ; dans la surveillance numérique, avec la reconnaissance par la rétine ou la collecte des données de santé, le tout sans consentement des individus.
Sur le plan géopolitique, la Chine joue le premier rôle dans cette crise qui, fait sans précédent depuis 1945, voit l’effacement complet des États-Unis. L’épidémie accélère aux yeux de Pékin la désoccidentalisation du monde, les démocraties étalant leur impuissance à maîtriser l’épidémie et s’engageant dans la japonisation de leurs économies, marquée par la stagnation de l’activité et l’explosion de la dette publique. Simultanément, la Chine, selon les règles du jeu de go, poursuit méthodiquement leur encerclement en renforçant ses liens avec les émergents de trois façons : la diplomatie sanitaire avec les livraisons de matériel de protection, d’équipements médicaux et de médicaments ; le financement des États via les investissements des nouvelles routes de la soie et des banques centrales via les accords de swaps de la Banque de Chine ; la prise de contrôle des institutions multilatérales – OMS en tête.
Le triomphe apparent de la Chine demeure cependant très ambigu. L’épidémie a souligné le dualisme d’un pays à la pointe des technologies mais parfois très archaïque dans ses modes de vie et de consommation, très peu sûr aussi dans l’organisation de la production. Le total-capitalisme de Pékin a fait la démonstration de sa culture du mensonge et de son absence de fiabilité. Enfin, le coût démesuré des pertes dans le monde suscite d’innombrables procédures judiciaires pour engager la responsabilité de la Chine et lui demander des réparations.
La situation de la Chine est riche d’enseignements.
- La reprise économique en sortie de confinement sera lente et dépendra largement du redémarrage du commerce international.
- La crise du coronavirus se traduit par une accélération fulgurante de la numérisation.
- L’affrontement avec la Chine sera au cœur de l’élection présidentielle aux États-Unis, dont la défaite et l’humiliation lors de ce Pearl Harbour sanitaire annoncent une ascension aux extrêmes de la guerre technologique.
- La marginalisation de l’Occident par la Chine acte l’échec de la stratégie isolationniste de Donald Trump.
- La disparition des États-Unis et les failles de la Chine laissent le monde du XXIe siècle sans véritable leader, ce qui rend d’autant plus urgent pour l’Union européenne de se repenser comme puissance.
(Article paru dans Le Point du 23 avril)