Le retard et l’illisibilité de la réponse du président américain à l’épidémie inquiètent le pays et ouvrent un espace politique à Joe Biden.
l’épidémie de Covid-19. Le déni, entretenu par la dérive isolationniste, a cédé la place à l’urgence nationale alors que l’Amérique compte désormais le plus grand nombre de personnes infectées dans le monde avec près de 150 000 cas déclarés. Comme dans tous les pays, la catastrophe sanitaire constitue un test impitoyable pour les dirigeants et les institutions.
Les États-Unis se découvrent particulièrement vulnérables face à la pandémie, qui pourrait faire entre 200 000 et 300 000 morts. Et ce pour quatre raisons : l’inefficacité et les inégalités criantes du système de santé, qui mobilise 16,9 % du PIB mais laisse près de 30 millions de personnes sur 330 millions sans assurance santé ; la décentralisation de la santé, qui aboutit à une grande diversité des situations, seule une vingtaine d’États ayant décidé le confinement, qui touche la moitié de la population ; le démantèlement des agences fédérales chargées de la santé, dont le budget a été réduit de 12,7 milliards à 8 milliards de dollars ; la réaction tardive et erratique de Donald Trump, passé successivement de la dénégation à la fermeture des frontières, de la priorité à la poursuite de l’activité économique à la confiance placée dans le traitement de l’épidémie par la chloroquine et la mise au point d’un vaccin, le tout sur fond de politisation à outrance imputant le mal à la Chine et à l’État profond, et la crise économique aux démocrates.
Le choc économique et financier est à la hauteur de cette inconséquence. L’activité chutera de quelque 25 % au deuxième trimestre, entraînant une récession de 3 % à 4 % du PIB en 2020. Le chômage explose, avec l’inscription de 3,3 millions de personnes en une semaine, et pourrait progresser de 3,5 % à 9 % de la population active. Les marchés financiers se sont effondrés et la liquidité a disparu, créant le risque d’un emballement des faillites et des licenciements. Les conséquences dépassent les États-Unis : le blocage de la consommation, qui représente 29 % de la demande de la planète, réduit les échanges, notamment en Chine ou en Allemagne, où les exportations représentent entre 20 % et 48 % du PIB, alimentant la récession mondiale.
La vitesse et l’ampleur des mesures de politique économique contrastent heureusement avec l’indigence de la réponse en termes de santé publique. Maison-Blanche et Congrès ont lancé conjointement un plan de soutien de 2 200 milliards de dollars, soit 10 % du PIB. Les cibles sont : les ménages pauvres (1 200 dollars par adulte et 500 dollars par enfant) et les chômeurs (600 dollars par semaine) ; le financement des TPE (350 milliards) et des grandes entreprises (500 milliards) ; les États et les municipalités (500 milliards) ; le système de santé et les hôpitaux (150 milliards). Simultanément, la Fed a ramené ses taux à zéro et mis en place un vaste programme de rachat d’actifs étendu aux obligations des entreprises pour assurer la liquidité. Au total, cet effort historique mobilise quelque 20 % du PIB.
Venant après les guerres interminables et perdues d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie, venant après le krach de 2008, l’épidémie de Covid-19 acte la faillite du leadership des États-Unis, dont la déroute sanitaire tranche avec la réaction efficace des démocraties asiatiques : Japon, Corée du Sud et Taïwan. La rivalité se trouve exacerbée avec la Chine, qui apparaît comme le vainqueur paradoxal de la catastrophe sanitaire dont elle porte la responsabilité première, mais qu’elle met à profit pour légitimer son modèle autoritaire et exporter son soft power. Pékin n’apporte aucune aide à l’Amérique contrairement à 2008, mais se montre solidaire de l’Europe en l’approvisionnant en masques et en respirateurs. La crise souligne à l’inverse l’échec de la stratégie de surchauffe économique, du tournant nationaliste et de la guerre commerciale impulsés par Donald Trump.
La crise dominera assurément l’élection présidentielle américaine. Elle réintroduit une grande incertitude dans un scrutin qui semblait joué d’avance en faveur de Donald Trump. Si les primaires ont été suspendues, Joe Biden est certain d’être le candidat démocrate et voit s’ouvrir un espace politique avec la proposition d’un Medicare pour tous qui pourrait rassembler les partisans de Bernie Sanders et une large partie des classes populaires et moyennes. Trump a beau bénéficier du mouvement d’union nationale et de la posture de chef de guerre qu’il affectionne, il se trouve déstabilisé par l’affichage de son incompétence, de son cynisme, de son incapacité à organiser et de son mépris. Au temps du coronavirus, la priorité n’est plus « Make America Great Again », mais bien « Make America Safe Again ».
(Article paru dans Le Point du 02 avril)