Le Forum de Davos a soulevé trois dilemmes paralysant la lutte contre le changement climatique.
Le Forum économique mondial de Davos a été placé cette année sous le signe de la protection de l’environnement. Pour la première fois, les grands dirigeants économiques ont mis en tête de leurs préoccupations les risques d’un échec de la lutte contre le réchauffement climatique, les événements extrêmes et la chute de la biodiversité.
Dans le même temps, la conférence a montré que le principe « un système, deux mondes » s’applique à l’écologie comme à la géopolitique, marquée par une nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine. Il a en effet été dominé par le choc des futurs, à travers la confrontation entre Greta Thunberg et Donald Trump. La première a rappelé que « notre maison est toujours en feu » pour mieux fustiger l’inaction et les mensonges des décideurs mondiaux. Le second a mis en garde contre « les prophètes de malheur et leurs prédictions d’apocalypse » et vanté les mérites de la croissance et du modèle américain.
Ce dialogue de sourds éclaire les trois dilemmes qui paralysent la lutte contre le changement climatique. Comment, dans les pays développés, répondre à la révolte des classes moyennes pour lesquelles la fin du mois prime sur la fin du monde ? Comment, dans les pays émergents, convaincre dirigeants et populations d’intégrer la contrainte environnementale dans le développement, alors que le seul équipement de la Chine et de l’Inde en centrales à charbon annihile les effets d’une neutralité carbone de l’Europe à l’horizon 2050 ? Comment mettre en œuvre les mesures que chacun sait indispensables sans déchaîner le populisme au risque de ruiner la démocratie dans le Nord et exacerber le désir de revanche des peuples du Sud contre l’Occident ? Ces contradictions sont en réalité moins insurmontables que ne le laisse penser le duel entre Greta Thunberg et Donald Trump.
Tout d’abord, les faits sont têtus. Les feux géants d’Australie ou d’Amazonie ou l’asphyxie des villes indiennes ont rappelé que le changement climatique n’est pas un risque, mais une réalité. Et le dérèglement du climat est indissociable de lourdes pertes pour l’économie, de troubles sociaux et d’aggravation des tensions internationales.
Le Forum de Davos a moins souligné l’impossibilité de la transition écologique que les limites de l’action des États en raison de la fragilité croissante des démocraties et des rivalités de puissance. Trois constats émergent. Parmi les nombreux défis écologiques, les États doivent donner la priorité absolue à la lutte contre le réchauffement climatique, qui passe par la protection des biens communs de l’humanité – océans, forêts et pôles – et par la décarbonisation de l’économie. L’instrument le plus efficace et le plus juste reste le dividende carbone proposé par William Nordhaus, le Prix Nobel d’économie 2018, qui associe la taxation de la production de carbone par les entreprises et la redistribution intégrale de son produit vers les plus vulnérables.
La responsabilité des citoyens et des entreprises est décisive. Les citoyens peuvent faire pression sur les dirigeants, y compris dans les démocratures, comme le montrent les mobilisations en Chine ou en Russie, notamment autour de la gestion des déchets de Moscou. Les villes et les collectivités sont partout très en avance sur les États dans la transformation des politiques de logement, de transport ou d’énergie, comme dans l’adoption de modes de vie plus respectueux de l’environnement. Dans les pays développés, les comportements évoluent très rapidement. L’ère de la consommation de masse est terminée. L’heure est à consommer moins mais mieux, en privilégiant produits biologiques et circuits courts pour l’alimentation, en luttant contre le gaspillage.
Du côté des entreprises, la mutation des modes de production n’est pas moins spectaculaire, ouvrant la voie à une croissance plus qualitative et moins gourmande en ressources matérielles. Sous la pression des consommateurs, l’empreinte carbone devient déterminante. La production intègre le recyclage comme source prioritaire de matières premières. Les décisions d’investissement sont de plus en plus conditionnées par la décarbonisation, entraînant une réallocation massive du capital vers l’économie de l’environnement, à l’image de Microsoft, qui planifie une empreinte carbone négative dès 2030.
(Article paru dans Le Point du 30 janvier 2020)