Le triple choix de la fermeture économique, du durcissement idéologique et du pouvoir absolu fait du rêve chinois un cauchemar.
Depuis 1978, la Chine a réalisé le plus formidable décollage de l’histoire du capitalisme pour devenir la première puissance mondiale en termes de parité de pouvoir d’achat et rivaliser avec les États-Unis pour le leadership mondial. Après le tournant politique de 2017, qui a vu le 19e Congrès renouer avec le pouvoir absolu et l’héritage maoïste, l’année 2019 marque une rupture majeure. Le soixante-dixième anniversaire de la République populaire accompagne la fin des « quarante glorieuses » et une réorientation stratégique, associant fermeture économique et renforcement du totalitarisme.
Le ralentissement chinois est effectif. La croissance s’est officiellement élevée à 6,1 % en 2019, soit son niveau le plus faible depuis trente ans ; elle ne dépassera pas 5,7 % en 2020. Les dettes publiques et privées approchent 270 % du PIB, les défauts financiers des entreprises sont en hausse de 5 % et la fuite des capitaux ne cesse de s’amplifier. La relance par le crédit bancaire ne parvient plus à masquer la crise structurelle d’un mode de développement intensif fondé sur l’industrie et l’exportation, la prédation de l’environnement et la dette.
La guerre commerciale et technologique lancée par Donald Trump, au prix de l’amputation de 1 % de la croissance américaine, met un coup d’arrêt aux excédents commerciaux chinois et crée un cordon sanitaire autour de Pékin, dont Huawei est devenu le symbole. L’accord de « phase I », signé le 15 janvier, qui prévoit l’achat de 200 milliards de dollars de produits américains par la Chine constitue une victoire en trompe-l’œil car il ne remédie en rien aux problèmes de la spoliation de la propriété intellectuelle, des transferts forcés de technologie ou des aides d’État aux entreprises exportatrices. Mais il enterre Chinamerica.
La situation de la Chine se tend. Le rêve chinois est contredit par l’effondrement des naissances, réduites à 14,6 millions en 2019 – soit le chiffre le plus bas depuis la grande famine de 1961. La population active diminue, entraînant tensions sur le marché du travail et hausse des salaires. La Chine sera vieille avant d’être vraiment riche. La nouvelle épidémie de coronavirus met en évidence la fragilité de l’état sanitaire du pays. La mobilisation des réseaux sociaux a contraint les autorités, contrairement à 2003, à informer l’OMS mais la transparence reste toute relative, cachant le véritable nombre des morts et des personnes infectées – qui s’élèvent déjà à plusieurs milliers.
Enfin, la Chine n’a pas renoncé au système concentrationnaire de masse qu’elle applique aux Ouïgours du Xinjiang. Elle généralise la surveillance numérique de la population grâce à la reconnaissance faciale et en lui adossant le système de crédit social qui conditionne l’accès des citoyens au logement, à l’éducation, à la santé ou aux transports à leur allégeance au Parti communiste.
Les premiers signes de résistance à ce techno-totalitarisme sont apparus. À Hongkong, la population a pour la première fois refusé le chantage au développement pour défendre le principe « un pays, deux systèmes » affiché par Deng Xiao Ping et mis en pièces par Xi Jinping. Pékin a repris le contrôle du territoire en évitant un bain de sang comme à Tiananmen. Il cherche à étouffer la contestation en marginalisant Hongkong dans le projet de « Greater Bay Area » au bénéfice de Shenzhen.
L’échec le plus cinglant est venu de Taïwan avec la réélection de Tsai Ing-wen par 57,1 % des voix, face aux candidatures d’hommes liges de Pékin. Cette victoire a été construite sur la réaffirmation de la souveraineté de l’île nationaliste face au continent, en dépit du mélange de menaces d’une réunification par la force et de promesses économiques.
L’annexion de la mer de Chine du sud par Pékin et la prise de contrôle d’actifs stratégiques, voire de pays entiers, en raison de leur dépendance à la dette liée aux « nouvelles routes de la soie » provoquent des résistances croissantes. La Chine fait peur, du Vietnam à la Malaisie en passant par le Japon, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande.
Face à ce changement de donne, Xi Jinping prend le chemin inverse de celui choisi par Deng Xiao Ping en 1978. Sur le plan économique, la Chine se referme et se concentre sur son immense marché intérieur. Une priorité absolue est donnée à la technologique avec la volonté d’une autonomie qui supprime la dépendance vis-à-vis des États-Unis. La Chine assume la confrontation globale avec les États-Unis. Le triple choix de la fermeture, du durcissement idéologique et du pouvoir absolu fait du rêve chinois un cauchemar. La question reste pendante de savoir s’il conduit la Chine vers le leadership mondial ou si, comme à la fin du XVe siècle sous la dynastie Ming, il la coupe de la modernité.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 janvier 2020)