La croissance mondiale ralentit très fortement et le commerce international stagne. L’économie mondiale se trouve à un point de bascule.
Les orages n’éclatent pas seulement dans les ciels bleus mais aussi dans les horizons chargés. Les krachs ont en commun de naître de l’augmentation incontrôlée et de la gratuité des moyens de paiement qui favorisent le gonflement de bulles spéculatives. Ils éclatent quand les profits gonflés par l’euphorie diminuent et ne permettent plus de rembourser les dettes accumulées. L’économie mondiale se trouve précisément à ce point de bascule.
La croissance mondiale ralentit très fortement, revenue à 2,9 %, soit son plus faible niveau depuis dix ans. La progression du commerce international a chuté de 4,6 % à 1,2 % en deux ans sous l’effet de la généralisation des mesures protectionnistes. L’industrie, qui avait été au cœur de la mondialisation et des « quarante glorieuses » chinoises, se trouve frappée de plein fouet par la guerre commerciale et technologique, expliquant la chute de l’activité en Chine, en Allemagne, qui s’apprête à entrer en récession, ou en Corée du Sud.
Au total, les dettes publiques et privées culminent à 250 000 milliards de dollars, soit 320 % du PIB mondial, entraînant une floraison de bulles spéculatives de l’immobilier au private equity en passant par le marché de l’art. Sous l’apparence de liquidités illimitées et de records boursiers pointent deux réalités. D’un côté, les introductions en Bourse sont à l’arrêt et les opérations de fusion-acquisition en recul de plus de 12 % depuis le début de l’année. De l’autre, le secteur financier, pris en tenaille entre les taux négatifs et les fintechs, prend des risques déraisonnables en termes de prêts à des entreprises et des ménages de plus en plus fragiles pour entretenir l’activité et en termes de placements dans des actifs de plus en plus illiquides et risqués pour générer de la rentabilité. Ceci est tout particulièrement vrai en Europe où une partie du secteur bancaire n’a pas été restructurée, notamment en Allemagne, et où les activités les plus rentables sont monopolisées par les institutions américaines.
La bulle sur les actifs technologiques montre des signes d’éclatement. En 2018, plus de 134 milliards de dollars ont été investis dans les start-up aux États-Unis, dont une partie ne capitalise que des promesses de pertes. L’annulation de l’introduction en Bourse de WeWork venant après les échecs d’Uber, de Lyft, Slack ou Peloton, marque le retour des investisseurs à la raison. Mais ce changement pourrait être fatal à des entreprises comme SoftBank, dont le fonds Vision Fund a investi 97 milliards de dollars, levés au Moyen-Orient et en Asie, dans des entreprises technologiques dont bon nombre ne présentent aucun espoir de rentabilité.
La crise de crédit est désormais ouverte pour les États et les entreprises les plus vulnérables. En témoignent l’Argentine, au bord d’un neuvième défaut en dépit d’une aide sans précédent de 57 milliards du FMI en 2018, la situation critique de la Turquie et de l’Afrique du Sud. Simultanément se multiplient les faillites d’entreprises zombies fondées sur des empilements de crédits et de dettes, à l’image de Thomas Cook ou des compagnies aériennes Aigle Azur et XL Airways.
Ces alertes ont pour toile de fond trois évolutions.
- Au plan conjoncturel, l’épuisement du cycle d’expansion qui a débuté en 2009 aux États-Unis et les désordres croissants provoqués par une politique monétaire ultra-expansionniste : le jugement de Maurice Allais est pleinement confirmé qui soulignait, lors de la crise asiatique de 1997, que « le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit est certainement le cancer qui ronge les économies de marché ».
- Au plan structurel, les bouleversements provoqués par la révolution numérique et l’indispensable transition écologique.
- Au plan géopolitique, la remontée en flèche des risques, sous l’effet de la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine, de l’ascension des violences à Hongkong, de la montée des tensions dans le Golfe et du chaos créé par le Brexit, qui confortent la volatilité des marchés.
Les autorités politiques, qui se sont entièrement reposées sur les banques centrales pour piloter la sortie du krach de 2008, doivent désormais ouvrir les yeux sur les risques d’un nouveau choc financier. Sa violence sera en effet démultipliée par l’augmentation du stock des dettes et sa gestion rendue beaucoup plus difficile par la démondialisation impulsée par Donald Trump.
Les priorités sont claires. Se préparer à activer tous les leviers de la politique économique, y compris l’arme budgétaire pour les pays qui, comme l’Allemagne et l’Europe du Nord, en ont les moyens. Mettre fin à la zizanie mortifère au sein de la BCE et renforcer la zone euro par la réalisation de l’union bancaire et des marchés de capitaux. Réintégrer la finance de l’ombre et les fintechs dans la supervision des risques systémiques. Améliorer le filet de sécurité européen et mondial pour abonder la liquidité internationale en cas de choc. Et, enfin, préserver le système multilatéral et la possibilité de stratégies concertées pour éviter un effondrement des échanges et des paiements mondiaux.
(Chronique parue dans Le Figaro du 07 octobre 2019)