Pour son 70e anniversaire, la République populaire de Chine doit faire face à la fin de ses Quarante Glorieuses et à un environnement très transformé.
Au moment où la République populaire de Chine célèbre son 70e anniversaire, la volonté affichée par Xi Jinping de conquérir le leadership mondial à l’horizon de 2049 a provoqué un choc en retour, notamment aux États-Unis, qui déstabilise le modèle chinois et la mondialisation qui l’a porté.
L’émergence de la Chine n’a pas de précédent dans l’histoire du capitalisme. L’un des pays les plus pauvres est devenu, en quatre décennies, la première puissance économique du monde en parité de pouvoir d’achat. Un État vivant en autarcie s’est transformé en premier exportateur du monde, accumulant plus de 3 000 milliards de dollars de réserves de change. Mieux, il détient désormais le leadership dans des technologies clés du XXIe siècle.
Toutefois, ce développement météorique résulte d’une suite de ruptures. De la fondation de la République populaire à la mort de Mao, la Chine a payé son retour à la souveraineté et sa conversion au communisme de quatre décennies perdues, avec un niveau de vie inférieur en 1976 à celui de 1949. De 1958 à 1961, le « Grand Bond en avant » a fait des dizaines de millions de morts, du fait de la famine. De 1966 à 1976, la « Révolution culturelle » a jeté le pays dans le chaos et la guerre civile.
Le père du miracle chinois est Deng Xiaoping, qui, prenant exemple sur Singapour, lança en 1978 les quatre modernisations. Elles ont défini un modèle original qui associe capitalisme et totalitarisme. Un nouveau tournant est intervenu avec Xi Jinping qui, lors du XIXe congrès du Parti communiste d’octobre 2017, a renoué avec l’héritage maoïste tout en revendiquant le leadership mondial. Cette ambition s’appuie sur une stratégie globale. Sur le plan politique, elle lie le retour à une présidence impériale à vie, le renforcement du dogme marxiste dans les écoles, les universités et les entreprises, la mise en place d’une surveillance numérique généralisée de la population. Sur le plan économique, elle réserve les dividendes de la croissance aux entreprises chinoises et entend s’assurer une suprématie technologique à travers le plan Made in China 2025. Sur le plan militaire, elle poursuit la construction d’une grande muraille maritime et investit dans une marine de haute mer, dans l’espace et la cyber guerre. Sur le plan stratégique, elle assume une politique de puissance fondée sur le renforcement de la pression sur Taïwan, l’annexion de la mer de Chine, l’hégémonie sur l’Asie-Pacifique, la projection du modèle de gouvernement autoritaire et de capitalisme d’État à travers les nouvelles routes de la Soie, qui, via la dépendance par la dette, favorisent la prise de contrôle d’actifs et d’entreprises stratégiques, voire de pays entiers.
L’émergence de la Chine débouche ainsi sur des tensions insoutenables. Son mode de croissance intensif génère des inégalités inouïes et une destruction irréversible de l’environnement. La priorité donnée à l’industrie et à l’exportation, soutenues par les subventions publiques et la sous-évaluation du yuan, a déstabilisé les classes moyennes des pays développés. Son modèle économique fondé sur la prédation et son expansion suscitent désormais la peur. Son total-capitalisme, qui confirme que l’impérialisme est le stade suprême du marxisme, constitue une menace mortelle pour la liberté politique.
La Chine doit donc, comme en 1978, repenser sa stratégie. Mais Xi Jinping, son nouvel empereur rouge, l’engage dans la voie d’une confrontation à haut risque avec le reste du monde. Dans sa conquête du leadership mondial, la Chine bénéficie de formidables atouts avec sa capacité à mener des stratégies de long terme, le dynamisme de sa population et plus encore avec les errements de la politique américaine.
Mais la posture agressive de Xi Jinping expose la Chine à des risques élevés. La guerre commerciale et technologique avec les États-Unis, matérialisée par la hausse des droits de douane de 3 à 4 % sur les importations chinoises, entraîne une chute de la croissance au-dessous de 6 % et des fuites massives de capitaux. Le gonflement des dettes publiques et privées, qui représentent plus de 260 % du PIB, engendre de dangereuses bulles spéculatives. Les pratiques prédatrices provoquent des protestations en Asie et en Afrique. La volonté d’expansion fait peur, encourageant le rapprochement des États-Unis, de l’Inde, du Japon, de l’Australie et du Vietnam. Le soulèvement de la population de Hongkong souligne les failles du modèle chinois et les résistances qu’il suscite, galvanisant les tenants de l’indépendance de Taïwan.
Le destin du XXIe siècle se jouera autour de la rivalité entre la Chine et les États-Unis pour le leadership et leur capacité à éviter une confrontation armée directe. Le défi lancé par la Chine à l’Amérique est sans exemple, car il est à la fois économique et technologique, politique, idéologique et civilisationnel. Sous la pression du ralentissement économique, de l’escalade de la guerre commerciale et des manifestations de Hongkong, Xi Jinping fait le choix de l’arrêt des réformes, de la fermeture de l’économie, du durcissement de la dictature et de l’exacerbation du nationalisme. Il pourrait bien ainsi effectuer la même erreur que celles de l’Allemagne de Guillaume II en 1914 face au Royaume-Uni et du Japon militariste dans les années 1930 face aux Etats-Unis.
(Chronique parue dans Le Point du 03 octobre 2019)