L’économie allemande ralentit. À l’avenir, le pays devra s’adapter pour rester compétitif.
Le ralentissement économique de l’Allemagne se confirme. L’activité a diminué de 0,1 % au cours du second trimestre et la menace d’une récession pointe, avec la chute du moral des entrepreneurs et la multiplication des plans de licenciement. Le freinage résulte de la baisse de la production industrielle de 5 % et du retournement des exportations qui représentent 47 % du PIB. À court terme, la prospérité allemande n’est nullement compromise. La croissance sera de l’ordre de 0,5 % en 2019. Le plein-emploi est effectif avec 45 millions d’emplois et un taux de chômage limité à 3,1 % de la population active.
La critique par Emmanuel Macron des « tabous budgétaires »de l’Allemagne ou la dénonciation par Paul Krugman et Joseph Stiglitz de « la ruineuse obsession de la dette » sont malvenues. Le modèle allemand se montre pour l’heure bien plus performant, juste, stable et durable que la croissance par la dette à la française, l’économie de bulles américaine ou le repli nationaliste du Royaume-Uni et de l’Italie.
Pour autant, l’Allemagne n’est pas confrontée à une simple fluctuation cyclique mais à un problème structurel. La croissance par l’exportation est directement menacée par la démondialisation provoquée par le tournant protectionniste des États-Unis ainsi que par le mouvement de relocalisation exigé par la transition écologique, qui ont enclenché une diminution des échanges mondiaux. La priorité donnée à l’industrie bute sur la révolution numérique, la contrainte écologique et le basculement vers une société de services. La compétitivité se trouve affectée par le blocage de la productivité, la hausse des salaires nets de 4,8 % sur un an ainsi que l’explosion du coût de l’énergie en raison d’une stratégie désastreuse de sortie précipitée du nucléaire.
Au-delà de l’économie, l’Allemagne est confrontée à la nécessité de se repositionner. Aujourd’hui, sa culture de la stabilité est remise en question par la paralysie des gouvernements de coalition et la percée de l’extrême droite. La société vieillit rapidement et se polarise autour des réfugiés et de l’islam. Le revirement nationaliste et isolationniste des États-Unis prive l’Allemagne de leur garantie de sécurité et la laisse désarmée face aux démocratures et aux djihadistes. Enfin, le leadership allemand donnant la priorité à l’ajustement budgétaire et à l’affectation des pertes aux investisseurs privés dans le pilotage de la crise de l’euro et la restructuration de la Grèce a créé des plaies béantes chez ses partenaires comme sur les marchés financiers.
Il ne fait donc pas de doute que l’Allemagne doit se réinventer, défi majeur pour un pays qui a érigé la stabilité en devise nationale. Et que la politique économique, comme lors du choix de l’économie sociale de marché après la guerre, servira de laboratoire à cette nouvelle donne.
L’Allemagne constitue un cas d’école pour une relance budgétaire. La perspective d’une récession l’y invite ; les excédents accumulés depuis 2014 lui en donnent largement les moyens ; son endettement inférieur aux critères de Maastricht l’y autorise ; enfin, les taux d’intérêt négatifs l’y incitent, comme le montre la décision du gouvernement des Pays-Bas d’emprunter 50 milliards d’euros pour financer des projets d’infrastructures, de recherche et d’innovation.
Il existe un large consensus sur le retard pris par l’Allemagne en matière d’infrastructures, d’adaptation à la révolution numérique et à la transition écologique, sans évoquer son effort notoirement insuffisant dans le domaine de la défense et de la sécurité. Un plan d’investissement financé par l’emprunt serait parfaitement justifié, notamment pour tenir l’objectif de diminuer de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
Tout pousse l’Allemagne à remettre en question le dogme du « schwarze Null » ou déficit zéro. L’équilibre des finances publiques est souhaitable mais n’est pas une fin en soi. Deux conditions restent cependant à réunir. En Allemagne, Angela Merkel doit convaincre la CDU de renoncer à l’un de ses derniers principes, après l’avoir forcée à sacrifier l’industrie nucléaire, le service national et les critères de Maastricht puis l’avoir contrainte à accepter le salaire minimum et l’accueil des réfugiés. En France, Macron doit enfin cesser d’atermoyer, réformer l’État et diminuer les dépenses publiques.
La place de l’Europe dans l’économie du XXIe siècle dépendra de la capacité de l’Allemagne et de la France à continuer à figurer dans les dix premières puissances du monde et à s’accorder sur la gouvernance de la zone euro. La clé de la refondation de l’Union, du renforcement de la zone euro face à la crise qui vient et de la modernisation de l’Allemagne dépend de l’abandon du dogme du zéro déficit. La clé de la relance en Allemagne est la reprise de contrôle des dépenses et de la dette publiques en France.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 septembre 2019)