Parvenir à la parité salariale en France comme en Europe serait très rentable pour l’économie.
L’égalité de traitement entre les hommes et les femmes s’impose du point de vue de la justice sociale, des libertés et de la morale. Elle joue également un rôle aussi décisif que sous-estimé dans le développement des entreprises et des nations.
La part des femmes dans la progression de l’activité et des niveaux de vie est centrale. Dans les pays développés, le progrès de l’éducation des filles entre pour un quart dans la croissance enregistrée au cours des cinquante dernières années. L’Europe du Nord en apporte la confirmation, où la hausse de la participation des femmes à l’activité, qui atteint plus de 70 % à travers la généralisation du modèle « deux salaires, deux carrières », explique près du tiers de l’augmentation du PIB par habitant depuis 1970. Dans les pays émergents, a contrario, les discriminations dans l’éducation des filles, les droits de propriété, l’héritage, le travail, l’ouverture d’un compte en banque, la capacité d’agir en justice, la possibilité d’être chef d’entreprise vont de pair avec le non-développement.
Il en va de même pour les entreprises. L’étude des performances des 300 plus grandes entreprises mondiales établit que les plus féminisées présentent une rentabilité des capitaux et des résultats opérationnels supérieurs respectivement de 47 et 55 % par rapport à celles gouvernées uniquement par des hommes. Au sein du Fortune 1000, les entreprises dirigées par des femmes ont généré sur douze ans un rendement des fonds propres supérieur de 226 % à celui du S&P 500. Enfin, les sociétés du CAC 40 dont l’encadrement est féminisé à au moins 35 % ont affiché entre 2006 et 2016 une progression de 60 % de leur cours, contre une perte de 4 % pour l’ensemble de l’indice. C’est la raison pour laquelle les principaux gestionnaires de fonds, à commencer par BlackRock, qui gère plus de 5 000 milliards de dollars d’actifs, privilégient les entreprises qui mettent en place des stratégies actives de promotion de la diversité.
Les femmes disposent en effet d’un formidable pouvoir économique puisqu’elles achètent 80 % des biens de consommation dans les pays du Nord. Elles représentent 60 % des diplômés de l’enseignement supérieur en Europe et aux États-Unis. Elles sont majoritaires dans l’électorat des démocraties développées. Il ne leur manque que d’exercer pleinement leurs potentialités, ce qui passe par la mobilisation des politiques publiques.
La priorité, dans les pays émergents, consiste à lever les discriminations qui pénalisent les femmes pour leur reconnaître l’égalité des droits. Les retombées sur le décollage économique et le bien-être sont immédiates, ainsi que le confirment des pays à très forte croissance comme le Pérou, le Rwanda ou la Namibie. Dans les pays développés, le problème porte moins sur les droits fondamentaux que sur l’écart entre égalité formelle et égalité réelle, notamment en termes d’accès aux postes de direction et de rémunération. Pour autant, une vigilance particulière s’impose pour défendre les droits des femmes face au défi lancé par l’islam politique, qui postule et entend acter leur subordination. La religion ou la culture ne peuvent servir de prétexte à la remise en question du principe d’égalité entre les sexes, qui ne peut faire l’objet d’aucun compromis.
L’enjeu déterminant reste cependant la suppression des écarts d’emploi et de rémunération, qui représente un potentiel de 12 points de croissance d’ici à 2030. L’Europe et la France ont accompli des progrès significatifs, mais une certaine stagnation, voire des régressions se font jour qui appellent une relance. Et ce autour de cinq axes :
- Dans le domaine de la formation, les femmes sont majoritaires dans l’enseignement supérieur mais peu représentées dans les filières scientifiques, à l’image de la France, qui compte 58,2 % de femmes parmi les étudiants, contre 38,7 % dans les formations scientifiques et 28 % dans les écoles d’ingénieurs. Il est essentiel de lutter contre les stéréotypes et d’inciter les femmes à se tourner vers les études scientifiques.
- L’activité des femmes dépend directement de la possibilité de concilier vie professionnelle et familiale : d’où l’importance de renforcer les services de garde d’enfants.
- Le principe de l’égalité des rémunérations est affirmé dans la loi mais reste peu respecté dans les faits. En France, l’écart des salaires entre hommes et femmes s’élève à 9,9 % à condition égale, à 25 % tous postes confondus et à 37 % pour les pensions de retraite. Au-delà des sanctions qui doivent être appliquées, la transparence demeure le meilleur antidote contre les discriminations et l’arbitraire en matière de rémunération.
- La clé reste l’égalité d’accès aux fonctions de direction. La loi Copé-Zimmermann, qui prévoit que, pour les entreprises de plus de 250 salariés, le sexe le moins représenté doit entrer pour 40 % de la composition du conseil d’administration, a permis une avancée spectaculaire tout en améliorant fortement la gouvernance des entreprises françaises. Ce mécanisme devrait être progressivement étendu aux instances exécutives afin de remédier au déséquilibre qui voit les sociétés du SBF 120 compter 43,8 % de femmes dans leurs conseils mais seulement 17,7 % dans les comités exécutifs.
- En France, c’est l’État qui demeure le plus en retard. Les femmes ne sont que 15,7 % à présider un exécutif local et 37 % dans les cabinets ministériels. Elles sont très largement majoritaires dans la fonction publique (62 %), mais seulement 40 % parmi les cadres de catégorie A et 35 % parmi les postes de direction, en violation de la loi Sauvadet. De même, elles n’occupent que 35 % des sièges d’administrateur des entreprises du portefeuille de l’Agence des participations de l’Etat. Enfin, l’écart de salaires entre les sexes dans la fonction publique s’élève à 12 %. En matière d’égalité hommes-femmes, l’État est donc aussi prompt à donner des leçons et à fixer des règles aux entreprises et aux citoyens qu’à s’exonérer de leur application.
Simone de Beauvoir, dans « Le deuxième sexe », soulignait qu’« il est grand temps, dans l’intérêt de la femme et dans celui de tous, qu’on lui laisse enfin courir toutes ses chances ». Donner toutes leurs chances aux femmes n’est pas seulement une obligation morale et un principe démocratique, c’est aussi un pari économique gagnant. Il n’est de richesses que dans la diversité.
(Chronique parue dans Le Point du 06 juin 2019)