L’Argentine, comme le Venezuela, illustre la malédiction des pays riches ruinés par des politiques absurdes, au confluent du nationalisme et du socialisme.
L’onde de choc populiste qui frappe les démocraties depuis 2016 n’est pas limitée aux États-Unis et à l’Europe et se propage au monde émergent. En Argentine se profile le retour en force des péronistes à l’occasion de l’élection présidentielle du 27 octobre prochain.
L’Argentine servit de laboratoire au populisme avec le péronisme qui, à partir de 1943, inventa un modèle de pouvoir autoritaire conjuguant la relation directe entre un leader charismatique et le peuple, l’étatisme, le corporatisme et le protectionnisme. Le prix fut exorbitant. L’Argentine, qui regorge de richesses naturelles et de talents, a été ravalée du 10e au 21e rang mondial depuis 1945. Pourtant, le péronisme a survécu, avec pour dernier avatar les douze années de kirchnerismo, sous l’emprise de Nestor puis Cristina Kirchner qui mirent le pays au ban de la communauté internationale après son défaut en 2001.
L’élection de Mauricio Macri, en 2015, avait fait naître l’espoir d’un renouveau, grâce à un programme de réformes fondé sur la réhabilitation de l’État de droit, le démantèlement de l’économie administrée, la réintégration dans les échanges et les paiements mondiaux. Mais cette stratégie s’est enrayée faute de soutien par les investissements étrangers avant d’être prise à revers par la guerre commerciale et monétaire lancée par Donald Trump.
Après une brève récession provoquée par la chute des matières premières en 2016, l’économie a renoué avec une croissance de 3,5 % en 2017. Mais à partir de 2018, l’Argentine a été rattrapée par une sévère crise monétaire provoquée par la hausse du dollar et des taux d’intérêt, qui a fait perdre au peso la moitié de sa valeur.
Dix-sept ans après l’effondrement de sa monnaie et de son système financier en 2001, l’Argentine s’est retrouvée en risque de défaut. Dès lors, Macri n’a eu d’autre choix que de se tourner vers le FMI qui lui a accordé, sous la pression des États-Unis, une facilité de financement de 57 milliards de dollars sur trois ans – représentant 9 % de la production du pays – , au prix d’un plan d’austérité drastique qui s’est traduit par la baisse de 10 milliards de dollars des dépenses publiques.
Le retour du risque de cessation des paiements de l’Argentine, évalué à une chance sur deux d’ici à 2024, constitue un terrible revers pour la stratégie de modernisation de Macri. Elle s’explique en partie par l’héritage des Kirchner, marqué par un déficit budgétaire de 8 % du PIB, par un système de redistribution insoutenable et surtout par le quadrillage de l’État. Mais elle doit aussi beaucoup aux erreurs commises par le président argentin, qui a refusé d’augmenter les taux d’intérêt, revu à la hausse l’objectif d’inflation et laissé dériver les dépenses publiques en 2017. La crise monétaire s’est ainsi transformée en crise économique et sociale avant de devenir politique.
C’est bien la démocratie qui sera l’enjeu principal de la prochaine présidentielle. Macri, élu avec le slogan « Pauvreté zéro », est profondément affaibli par l’échec des réformes. Un espace s’est ouvert permettant le retour des péronistes dans lequel s’est engouffrée Cristina Kirchner. Sous le coup de multiples inculpations pour avoir organisé un vaste système de corruption autour des marchés publics, elle entend se présenter comme vice-présidente derrière son chef de cabinet, Alberto Fernandez, afin que celui-ci puisse signer l’amnistie interrompant les procédures qui la visent. Avec pour programme rien moins que la nationalisation du commerce extérieur et la mise sous tutelle des secteurs de la justice et des médias, dans la droite ligne de la révolution bolivarienne qui a provoqué au Venezuela la pire catastrophe économique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
L’Argentine, comme le Venezuela, illustre la malédiction des pays riches ruinés par des politiques absurdes, au confluent du nationalisme et du socialisme. Elle souligne la vulnérabilité des pays émergents face aux secousses provoquées par Trump sur les échanges et les marchés mondiaux. Elle illustre le danger du surendettement tout en rappelant l’utilité des institutions multilatérales pour gérer les situations de crise.
La victoire de Kirchner ferait renaître le risque d’un effondrement financier de l’Argentine, qui, à défaut de contagion mondiale, pourrait affecter nombre de pays émergents. Après le succès de Jair Bolsonaro au Brésil, elle marquerait, sur le plan politique, la régression de l’Amérique latine vers le populisme, avec à la clé une nouvelle décennie perdue pour la démocratie et le développement. En dépit de ses erreurs qu’il doit reconnaître et corriger, il faut souhaiter que Macri parvienne à déjouer le retour du péronisme dont le spectre hante à nouveau l’Argentine.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 mai 2019)