Ce que les démocraties doivent comprendre des attentats du Sri Lanka pour éradiquer l’islamisme.
Le massacre perpétré le dimanche de Pâques au Sri Lanka par le National Thowheed Jamaath et revendiqué par l’État islamique (Daech), qui a fait 253 morts et plus de 500 blessés, confirme que la chute de Baghouz (Syrie), le 23 mars, a mis fin au projet de califat au Moyen-Orient, mais non pas à la mondialisation du djihad. Abou Bakr al-Baghdadi, toujours libre en dépit de la récompense de 25 millions de dollars offerte par les États-Unis pour sa capture, a appelé, dans une vidéo enregistrée aux confins de l’Irak et de la Syrie et diffusée le 29 avril, à venger les morts de la bataille de Baghouz en intensifiant la guerre contre l’Occident. En se targuant de 92 attentats dans 8 pays, il a acté le tournant stratégique de l’Etat islamique fondé sur le retour à la lutte clandestine au Moyen-Orient et le redéploiement en Afrique de l’Ouest et en Asie.
Les attentats du Sri Lanka témoignent de la capacité de l’organisation terroriste à conduire des attaques de grande ampleur, avec un haut degré de coordination et de sophistication. Trois hôtels de prestige et trois églises ont été frappés simultanément, le suicide des kamikazes étant relayé par l’explosion de véhicules piégés. Le ciblage de la minorité chrétienne et des visiteurs étrangers permet de déstabiliser le Sri Lanka en réactivant la dynamique de la guerre civile et en tarissant ses recettes touristiques, tout en ciblant l’Occident.
Face au renforcement de la sécurité aux États-Unis et en Europe, l’Asie s’affirme, après l’Afrique de l’Ouest, comme la nouvelle terre de conquête de l’État islamique. Depuis 2015, l’organisation est active en Afghanistan, où elle opère – avec le soutien de l’Iran – depuis les grottes de Tora Bora. Forte de plusieurs milliers de combattants, elle a pris d’assaut le ministère de la Communication à Kaboul le 20 avril dernier, laissant une dizaine de morts. Avec l’appui de combattants rapatriés de Syrie, l’État islamique a multiplié les attentats meurtriers dans les grandes métropoles, à Dacca (Bangladesh) en 2016, à Jakarta et à Surabaya (Indonésie) en 2016 et 2017, tandis que des tentatives était déjouées en Malaisie et même à Singapour. Aux Philippines, l’organisation a conquis Marawi, dans l’île de Mindanao, en mai 2017, et la ville n’a été reprise qu’après cinq mois de combats féroces, au prix de 1 100 morts.
L’Asie constitue une cible logique pour l’État islamique. La population musulmane est majoritaire en Indonésie (87 % des 268 millions d’habitants) et au Pakistan (95 % des 204 millions d’habitants), et constitue ailleurs une minorité en forte expansion. La polarisation du développement économique s’accompagne de fortes inégalités sociales et territoriales. Les conflits ethniques et religieux sont attisés par les séquelles de nombreuses guerres civiles et la fin de la guerre froide. Enfin, les États peinent à contrôler des espaces immenses, souvent archipélagiques (l’Indonésie rassemble 18 306 îles), propices aux organisations clandestines et aux trafics.
Le Sri Lanka constitue de ce point de vue un cas d’école. Le pays, qui sort à peine d’une guerre civile de trente ans entre Cinghalais et Tamouls qui a fait 40 000 morts, a laissé se radicaliser la minorité musulmane qui représente 9 % des 22 millions d’habitants. Largement financé par l’Arabie saoudite, le wahhabisme s’est développé autour de Zahran Hashim, l’organisateur des attentats, qui a transformé la ville de Kattankudy en un petit califat quadrillé par plus de 60 mosquées et madrasas pour 45 000 habitants. Simultanément, la Chine a pris le contrôle des infrastructures essentielles du pays à travers les nouvelles routes de la Soie. L’État, de son côté, est paralysé par l’affrontement entre le président Maithripala Sirisena et son Premier ministre, Ranil Wickremesinghe, qui se déchirent après avoir fait alliance pour battre en 2015 l’ancien homme fort du pays, Mahinda Rajapaksa. Obsédés par la prochaine élection présidentielle, ils ont totalement négligé la sécurité, en dépit d’alertes répétées et précises transmises notamment par les autorités indiennes. Le risque est donc élevé que l’État islamique parvienne à relancer la guerre civile du fait du déchaînement des passions nationalistes et religieuses provoqué par les attentats.
Au-delà du Sri Lanka, la question religieuse revient en force en Asie, fragilisant le statut des minorités. L’Indonésie en est un bon exemple : afin d’assurer sa réélection, le président Joko Widodo a sacrifié son allié Ahok, chrétien d’origine chinoise condamné à la prison pour blasphème en 2017, pour s’associer avec Ma’ruf Amin, chef de la plus grande organisation islamique du pays. Le moment est aussi critique pour le monde musulman, écartelé entre le retour des autocrates comme le maréchal Al-Sissi en Egypte, le basculement de la Turquie d’Erdogan dans une démocrature islamique, la théocratie iranienne et l’aspiration persistante des peuples à la liberté qui s’exprime en Algérie et au Soudan. Les démocraties occidentales doivent pour leur part tirer toutes les leçons de la tragédie du Sri Lanka.
- Le califat est mort, mais la menace de l’État islamique reste entière.
- L’Europe demeure une priorité stratégique pour l’État islamique avec l’Asie et l’Afrique de l’Ouest, ce qui appelle à faire de la lutte contre le terrorisme l’un des axes de la refondation de l’Union autour de la sécurité.
- Il est vital d’interdire le retour des djihadistes ayant combattu au Moyen-Orient et d’intensifier la surveillance de la propagande islamiste sur les réseaux sociaux.
- La victoire contre l’islamisme passe par l’éradication de ses causes, ce qui suppose une stratégie globale associant poursuite de la guerre contre les djihadistes sur tous les théâtres d’opérations et investissement massif dans le développement en Asie et en Afrique comme dans les politiques d’intégration au sein des sociétés développées.
(Chronique parue dans Le Point du 09 mai 2019)