Même si elle est appelée à se réduire à terme, l’influence du pétrole sur l’économie et la géopolitique demeure décisive.
L’économie du XXIe siècle, placée sous le signe de la révolution numérique et de la transition écologique, continue à reposer sur l’énergie. En raison de l’impératif écologique, le pétrole est de plus en plus considéré dans les pays développés comme une relique barbare de la seconde révolution industrielle. Mais force est de constater que la consommation d’énergie continue de progresser autour de 2,1 % par an et que le pétrole reste de loin la première source.
Même si elle est appelée à se réduire à terme, l’influence du pétrole sur l’économie et la géopolitique demeure décisive. Une nouvelle preuve en est donnée par la décision de Donald Trump de durcir le régime des sanctions contre les exportations de pétrole iranien. L’objectif consiste à réduire à néant les sources de revenus du régime des mollahs qui financent l’empire chiite construit au Moyen-Orient, tout en amplifiant la crise économique et sociale de l’Iran. Mais les conséquences sont mondiales. Cumulées avec les sanctions contre le Venezuela et avec le chaos qui règne en Libye, le durcissement des sanctions contre l’Iran limite l’offre. Contrairement aux espoirs de Donald Trump, l’Arabie saoudite observe en effet pour l’heure un prudent attentisme, limitant sa production à 10 millions de barils par jour afin de maintenir le baril au-dessus d’un prix plancher de 70 dollars. Ceci dans le but d’alimenter les formidables profits d’Aramco (111 milliards de dollars en 2018) pour financer la transformation de son modèle économique et la préparation de l’après-pétrole.
Au total, les initiatives de Donald Trump ont provoqué une augmentation du prix du baril de 53 à 74 dollars depuis le début de l’année et pourraient déboucher sur une hausse supplémentaire de 10 dollars. La volatilité du marché de l’énergie se trouve renforcée.
Ces évolutions conjoncturelles masquent des révolutions fondamentales du secteur de l’énergie. Les hydrocarbures non conventionnels ont permis aux États-Unis de redevenir le premier producteur mondial (15,5 millions de barils par jour en 2018 avec un objectif de 19,6 millions de barils par jour en 2024) en même temps qu’un exportateur net de gaz. La production non conventionnelle augmente de 1,1 million de barils par jour par an. Sa flexibilité et la chute de ses coûts ont fait basculer le pouvoir de marché de l’Opep vers les États-Unis, les libérant de leur dépendance au Moyen-Orient.
L’enjeu est majeur dans la lutte pour le leadership mondial. La Chine manque de pétrole et se trouve limitée dans le développement d’alternatives par la pénurie de ses ressources en eau. D’où le déploiement international de ses groupes, CNPC et CNOOC, qui ont repris les participations de Total en Iran et dans l’Arctique russe. D’où l’importance des « nouvelles routes de la soie » qui cherchent à sécuriser les approvisionnements tout en prenant le contrôle des infrastructures stratégiques. La Russie, troisième producteur mondial, est isolée et contrainte sous la pression des États-Unis de redéployer ses exportations de l’Europe vers l’Asie au prix de moindres recettes. L’Europe, dont le marché de l’énergie a été désorganisé par la sortie unilatérale du nucléaire décidée par l’Allemagne en 2011, conjugue faiblesse de l’innovation, prix élevé pour les producteurs et les ménages, dépendance stratégique accrue, interruption de la baisse de ses émissions du fait du poids du charbon et du lignite dans le mix allemand (35,3 %). Elle est devenue, dans ce secteur également, la variable d’ajustement de la confrontation ouverte entre les grandes puissances du XXIe siècle.
Les évolutions récentes du marché pétrolier comportent plusieurs leçons. La malédiction du pétrole perdure, comme le soulignent la Russie, l’Arabie saoudite, le Venezuela, l’Algérie, l’Irak ou la Libye qui conjuguent autocratie, non-développement et oppression de la société, quand ce n’est pas la guerre civile. L’instrumentalisation par Donald Trump du marché pétrolier pour servir ses ambitions stratégiques est tout aussi dangereuse politiquement et économiquement que le recours au protectionnisme. L’énergie reste déterminante dans l’élaboration d’un modèle de développement écologiquement et socialement soutenable. L’indispensable transition énergétique prendra beaucoup plus de temps qu’il n’est affiché par les pouvoirs publics, ce qui invite à travailler à l’efficacité énergétique parallèlement au développement des énergies renouvelables rentables. La lutte contre le réchauffement climatique passe par l’instauration d’une taxe carbone mais plus encore par l’investissement et l’innovation. L’Europe doit impérativement se doter d’une stratégie énergétique conciliant transition écologique, compétitivité économique et sécurité.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 avril 2019)