Loin d’utiliser la crise pour tenter de promouvoir des solutions, le gouvernement est enfermé dans une spirale régressive.
Emmanuel Macron prétendait remettre la France en marche ; elle tourne en rond. Avec le grand débat, l’Hexagone a pris la forme du rond-point de Raymond Devos, dont toutes les sorties sont autant de sens interdits, ce qui condamne ses usagers à une circonvolution éternelle.
Du côté des « gilets jaunes », la jacquerie fiscale débouche sur le nihilisme. Le mouvement n’a ni leader, ni projet, ni utopie mobilisatrice. Il annihile toute tentative d’organisation et se retourne contre ses propres militants dès qu’ils souhaitent s’engager dans une expression ou une démarche politiques. Il n’a plus pour ciment que la haine sociale et la violence, qui se traduisent par la mise à sac d’un nouveau centre-ville chaque samedi. Au nom de la détestation des élites et de la dénonciation du système, il agrège tous les extrémismes et légitime les idéologies les plus dangereuses, à commencer par l’antisémitisme.
Le gouvernement n’est pas en reste. Loin d’utiliser la crise pour tenter de promouvoir des solutions neuves aux maux de notre pays, il est enfermé dans une spirale régressive. Alors que les « gilets jaunes » se sont soulevés à juste titre contre des prélèvements confiscatoires qui accaparent quelque 53 % du PIB, il ne se passe pas un jour sans que ministres ou parlementaires de la majorité ne proposent d’augmenter les impôts ou d’en créer de nouveaux : rétablissement de l’ISF, durcissement du régime des successions, CSG progressive, suppression des niches de l’impôt sur le revenu, impôt sur le revenu pour tous, taxe carbone flottante, vignette poids lourds… Pas un mot sur la diminution des dépenses publiques qui conditionne l’indispensable baisse des impôts. Pas l’ombre d’une proposition concernant les enjeux vitaux pour l’avenir : la lutte contre le chômage de masse ; le repositionnement de la France dans une Europe et un monde bouleversés par le retour en force du nationalisme et du protectionnisme.
Le grand débat se révèle ainsi à l’image du système de pouvoir mis en place par Emmanuel Macron : immense et vide. Plus on agite de faux problèmes et moins l’on traite des vrais. La multiplication à l’infini des Macronthons, des réunions, des motions et des contributions permet certes au président de la République de reprendre pied dans les sondages. Mais elle accélère la crise au lieu de l’enrayer.
Le contresens est complet. L’installation d’une violence endémique – marquée par 78 agressions de dépositaires de l’autorité publique chaque jour – mine l’économie qui cumule une croissance à peine supérieure à 1 %, un déficit commercial de 60 milliards d’euros, un taux de chômage de 8,8 %, un déficit et une dette publics de 3,5 et 100 % du PIB. Le renouveau des incertitudes sur la fiscalité plombe l’investissement et réactive les doutes sur l’attractivité de la France, éloignant les capitaux internationaux. L’État recentralise et intervient partout, alors que son expansion démesurée et inefficace a poussé les citoyens à la révolte. La nation se fracture jusqu’à se trouver en situation de guerre civile froide. La surexposition et l’isolement du président renforcent la crise des institutions. Le mythe de la démocratie directe sape la démocratie représentative avec la suspension de facto de la campagne pour les européennes, pourtant les plus décisives depuis 1979. La France a perdu tout crédit auprès de ses partenaires européens et devient la risée des autocrates.
La véritable trahison des élites ne résulte pas de la pseudo-sécession des riches mais du renoncement à réformer la France à travers le face-à-face des technocrates et des démagogues, qui livre les Français aux passions collectives et à la violence. La France ne surmontera jamais la crise des « gilets jaunes » en faisant circuler de plus en plus vite dans le cyclotron du grand débat les principes qui ont conduit à son décrochage : la décroissance par les impôts et par la dette publique ; le développement parallèle des aides sociales et du ressentiment ; la surexpansion de l’État et l’infantilisation des citoyens ; la tyrannie de la précaution contre l’innovation.
Cessons d’errer comme des somnambules autour du rond-point d’une société bloquée et remettons-nous collectivement au travail dans un moment critique. Si nous ne le faisons pas, la convergence de la stagnation économique, du blocage de la mobilité sociale, de la polarisation des opinions et de la violence politique n’aura d’autre débouché que la révolution. La dissolution des contre-pouvoirs, des partis et des corps intermédiaires pour mettre en scène l’affrontement entre un président coupé du pays et le chaos des extrémistes conduira tôt ou tard les Français à faire le choix destructeur du populisme. L’illusion de l’homme providentiel aura alors de nouveau accouché d’une tyrannie maléfique.
(Chronique parue dans Le Figaro du 04 mars 2019)