À l’image de l’Union soviétique, le régime des mollahs ne peut à terme ni se maintenir ni se réformer.
La révolution iranienne de 1979 qui vit la chute du chah et la fondation de la République islamique a marqué le retour de la religion au premier rang de la politique et de l’histoire tout en réhabilitant la théocratie.
Quarante ans après, force est de constater que la République islamique fait preuve d’une longévité et d’une résilience impressionnantes. Le régime des mollahs a non seulement résisté à la terrible guerre de huit ans contre l’Irak – au prix du sacrifice d’une génération de jeunes Iraniens -, à sa mise au ban de la communauté internationale, aux embargos et aux sanctions commerciales, mais il a réussi à constituer un empire chiite.
L’invasion et la destruction de l’Irak baasiste en 2003 puis le retrait désordonné qui a favorisé l’émergence de l’État islamique ont permis l’émergence d’un vaste « chiistan » qui s’étend du Liban et de Gaza à l’Afghanistan en passant par la Syrie, l’Irak, le Yémen ou encore le Qatar, activement soutenu dans sa confrontation avec l’Arabie saoudite.
L’expansion territoriale et l’affirmation de l’Iran comme puissance dominante du Moyen-Orient ont cependant été obtenues à un coût exorbitant pour le pays et surtout pour sa population.
L’Iran dispose de tous les atouts pour décoller au plan économique et s’imposer comme un grand émergent, fort de ses immenses ressources, d’une population de 80 millions d’habitants largement urbanisée et éduquée, d’entrepreneurs dynamiques, d’une société civile vivante et créative. Tout ceci est annihilé par la confiscation de la rente pétrolière par les mollahs, l’emprise des gardiens de la révolution sur tous les secteurs d’activité, une corruption endémique et une catastrophe écologique qui se traduit par une accélération de la désertification. Les sanctions américaines ont donné le coup de grâce, provoquant une récession de l’activité de 4 % en rythme annuel. Depuis 1979, l’économie iranienne est devenue deux fois plus petite que celle de la Turquie, qu’elle dépassait alors de 26%, et quatorze fois inférieure à celle de la Corée du Sud, qu’elle devançait de 39 %.
Le blocage du développement se traduit par une crise sociale. La pauvreté est massive, 40 % des Iraniens disposant de moins de 10 dollars par jour. Le chômage touche un cinquième de la population active et jusqu’à 50 % des jeunes, ce qui entraîne l’exil de 125 000 diplômés par an. La stagnation de l’économie et la paupérisation des Iraniens alimentent une forte instabilité sociale, marquée par la multiplication des grèves et des manifestations violemment réprimées. Des pans entiers de la société, des cadres aux retraités en passant par les salariés du secteur public, les femmes ou les jeunes, basculent ainsi dans la contestation puissamment relayée par les réseaux sociaux – notamment Instagram. Le régime s’est ainsi aliéné non seulement les classes moyennes des grandes villes, mais aussi la partie la plus conservatrice et la plus déshéritée de la population – qui renoue avec le culte zoroastrien pour protester contre la corruption du clergé chiite.
L’idéologie de la révolution islamique est morte et ne survit que par la terreur exercée par les pasdarans d’une part, la détestation des États-Unis d’autre part. Au total, la révolution iranienne confirme l’impasse de l’islam politique. L’islam, en tant que religion d’État, n’est compatible ni avec la liberté ni avec des institutions républicaines. La théocratie enrichit le clergé et ruine le peuple. La priorité donnée au budget militaire, qui atteint plus de 16 milliards de dollars, et la surexpansion impériale interdisent le développement économique et entretiennent la misère.
À l’image de l’Union soviétique, le régime des mollahs ne peut à terme ni se maintenir ni se réformer. Dès lors, la stratégie déployée par Barack Obama était efficace, qui visait à créer un consensus international pour cantonner l’influence de l’Iran et freiner son programme nucléaire tout en misant sur la capacité des Iraniens à se libérer de la dictature. En revanche, les initiatives de Donald Trump sont totalement incohérentes, qui prétendent constituer une coalition contre l’Iran tout en se coupant de ses alliés européens, en s’appuyant sur une autocratie saoudienne délégitimée, en se retirant du Moyen-Orient et en remobilisant les Iraniens autour de la République islamique.
Trump s’affirme ainsi comme l’improbable allié du guide suprême, Ali Khamenei. Il est surtout le meilleur promoteur d’une Europe puissance, qui se dessine avec la création, le 31 janvier 2019, par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, de l’Instex, instrument financier destiné à faciliter les transactions avec l’Iran. Donc à faire pièce à l’impérialisme diplomatique et juridique des États-Unis qui n’est plus justifié par leur garantie de sécurité, rendue caduque par la déstabilisation de l’Otan.
(Chronique parue dans Le Figaro du 18 février 2019)