L’onde de choc populiste qui frappe le monde a pour effet principal de conduire à la décélération de l’économie mondiale.
Le retournement de la croissance mondiale s’amplifie. Après 3,8 % en 2018, le rythme de progression de l’activité devrait tendre vers 3 % en 2019. Le ralentissement est net aux États-Unis (2,5 %), en Chine (6 %) et surtout en Europe, où la zone euro renoue avec une croissance molle de l’ordre de 1,5 %. Le moteur allemand fondé sur l’exportation a calé avec une croissance limitée à 1,5 %. La France a connu un brutal trou d’air, chutant de 2,3 % à 1,5 %. L’Italie a basculé dans la récession. Enfin, l’économie britannique acquitte le prix fort pour le Brexit avec un effondrement de l’activité, passée de 2,8 % avant le référendum à 1,3 %.
La décélération de l’économie mondiale répond tout d’abord à une dynamique économique : l’arrivée à terme du cycle de reprise qui a succédé au krach de 2008 et qui a commencé en avril 2009 aux États-Unis, ce qui en fait la seconde période d’expansion la plus longue depuis 1945. La deuxième cause du ralentissement, beaucoup plus inquiétante, est politique, directement liée à l’onde de choc populiste qui frappe le monde développé. Elle se traduit par des stratégies nationalistes, protectionnistes et non coopératives qui pourraient transformer le ralentissement en récession, voire en choc majeur en raison du démantèlement des institutions internationales permettant de coordonner l’action des États.
Dix ans après le krach de 2008, l’économie mondiale a conjuré le risque d’une grande dépression mais se trouve confrontée à trois problèmes structurels : le surendettement avec l’accumulation de plus de 250 000 milliards d’emprunts publics et privés ; l’éclatement des classes moyennes dans les pays développés ; la disparition de la réassurance des États-Unis sur le capitalisme avec pour pendant le modèle de développement non coopératif de la Chine.
La politique s’affirme désormais non comme un réducteur d’incertitude mais comme un facteur de risque. Aux États-Unis, l’application d’une relance keynésienne fondée sur des baisses d’impôts pour les plus riches à une économie en plein emploi et une société devenue aussi inégalitaire qu’au XIXe siècle ne peut aboutir qu’à une secousse financière et une résurrection de la lutte des classes. Enfin, le shutdown provoqué par le projet absurde et ruineux de mur à la frontière mexicaine souligne l’incapacité des dirigeants américains de négocier des compromis et renforce les doutes sur la stabilité à terme des États-Unis.
En Europe, le blocage du renforcement des institutions de la zone euro va de pair avec l’amplification des déséquilibres nationaux. L’Allemagne est rattrapée par sa dépendance aux exportations et à l’industrie automobile. L’Italie et le Royaume-Uni illustrent les ravages du populisme, dont la démagogie entraîne à la fois la chute du pouvoir d’achat des consommateurs et l’arrêt de l’investissement en raison de la fuite des capitaux. La France, avec une croissance plafonnant à 1,5 %, un chômage de masse continuant à toucher plus de 9 % de la population active, témoigne du double échec d’Emmanuel Macron à transformer le modèle économique et social national et à refonder l’Europe. Au total, la zone euro reste à la merci d’une nouvelle crise, prise en tenailles par la dérive des dettes italienne et française ainsi que par la divergence persistante entre la France et l’Allemagne sur ses principes.
Dans cet environnement chaotique émergent quelques enseignements. Loin de faire la prospérité des peuples, le populisme produit la récession et le chômage, comme le démontre la coalition antisystème italienne. La croissance durable s’enracine dans les gains de productivité, donc dans l’investissement et l’innovation vers lesquels doivent être orientés en priorité capital humain et capital financier. Dans un contexte de ralentissement de l’activité et de hausse de la volatilité, les seules marges de manœuvre proviennent des réformes intérieures. Dans cette perspective, la France ne peut sortir d’une jacquerie fiscale et d’une révolte contre la multiplication anarchique des interventions de l’État par des hausses d’impôts et une nouvelle expansion de services publics caractérisés par la dégradation de leur qualité ; elle doit plus que jamais privilégier la modernisation de son appareil productif. Il est indispensable d’anticiper la prochaine récession en reconstituant des capacités d’action pour les politiques économiques, ce qui passe par la maîtrise des déficits et de la dette publique, par la normalisation des politiques monétaires et, pour ce qui est de l’Europe, par le renforcement de la zone euro. Les institutions multilatérales doivent être préservées pour permettre une gestion coopérative des futurs chocs entre les grands pôles qui structurent le capitalisme universel.
(Chronique parue dans Le Figaro du 04 février 2019)