La transition écologique doit être réorientée vers l’offre et l’innovation.
La mobilisation des gilets jaunes acte l’échec de la stratégie de transition écologique poursuivie par Emmanuel Macron. Les taxes sur le carburant ont provoqué une jacquerie numérique. Elle témoigne des fractures de la société française et de l’atomisation des individus, qui ouvrent un vaste espace aux populistes. Elle cristallise le malaise politique et social né d’un nouveau choc fiscal et d’un pouvoir autoritaire, technocratique et hyperconcentré, en rupture avec les citoyens, les élus et les territoires. Emmanuel Macron s’est piégé lui-même. La démission annoncée de Nicolas Hulot lui a ôté toute crédibilité en matière d’écologie. Simultanément, la vision étatiste, malthusienne et punitive de l’écologie a exaspéré les Français. Ils sont parfaitement conscients de l’urgence climatique, mais rejettent à bon droit une politique inefficace et arbitraire qui fait du foisonnement des règlements et du matraquage fiscal les deux mamelles de l’écologie.
Le diagnostic est exact, qui souligne la dégradation des écosystèmes de la planète et entend faire de la transition écologique, parallèlement à la révolution numérique, le moteur de la modernisation du modèle français. L’économie du XXIe siècle doit tendre à la décarbonation, ce qui ne signifie ni la décroissance ni la diminution drastique de la consommation d’énergie. La taxe carbone est, selon la théorie économique, le meilleur instrument pour matérialiser dans les prix les dommages faits à l’environnement. Mais elle ne peut avoir le monopole de la transition écologique. Surtout, son périmètre, son taux, son calendrier d’application doivent être acceptables pour les citoyens. Ainsi, son adoption par la Suède a été accompagnée de nombreuses exemptions pour ne pas dégrader la compétitivité économique, et surtout de la suppression d’autres taxes sur le carburant pour ne pas amputer le pouvoir d’achat et creuser les inégalités. L’un des inconvénients de la taxe carbone est en effet d’être un impôt régressif qui pèse davantage sur les plus déshérités et sur les habitants des zones rurales. La taxe carbone adoptée en France n’a pris en compte aucune de ces précautions. Instaurée en 2014 par Ségolène Royal sous la forme de la contribution énergie climat sur une base de 30,50 euros par tonne, elle doit atteindre 84 euros par tonne en 2022. Cela représente plus de 14 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires, auxquels s’ajoutera la TVA, qui s’applique à cette contribution en plus de celle qui grève le prix d’achat du carburant – le génie fiscal français soumettant les taxes à la TVA ! Avec un prix du baril autour de 80 dollars, le litre de carburant dépassera ainsi 2 euros dès 2020. De même, les taxes sur le fioul domestique et le gaz naturel ont augmenté respectivement de 30 et 40 % en 2018.
Ce choc fiscal n’a aucun sens économique ou écologique. En surtaxant des biens de première nécessité qui n’ont pas de substitut – 12 millions de citoyens utilisent leur voiture sans disposer d’alternative –, il ampute le pouvoir d’achat des plus pauvres en cassant la consommation. En programmant des hausses de taxes vertigineuses, il attise le refus de l’impôt et compromet la pédagogie de la transition écologique. Dans le même temps, l’essor vertigineux des coûts de l’énergie porte le coup de grâce à notre industrie au moment où les Etats-Unis relocalisent leur production grâce aux hydrocarbures non conventionnels. La seule logique de l’envol des taxes sur le carburant est budgétaire, comme le prouve le fait que 19 % seulement des 38 milliards prélevés en 2019 seront affectés à la transition écologique.
L’écologie n’est qu’un prétexte qui permet de taxer plus pour dépenser plus. Les taxes sur le carburant financent avant tout la dérive des dépenses publiques, qui ont augmenté de 58 milliards depuis l’élection d’Emmanuel Macron et sa promesse démagogique de supprimer la taxe d’habitation qui reporte sur les propriétaires le financement des services publics locaux via l’explosion des taxes foncières. Chaque jour démontre l’irrationalité des interventions de l’État, qui matraque fiscalement et programme l’éradication de ces véhicules Diesel et chaudières à fioul qu’il subventionnait largement hier, ou qui taxe le plus faiblement le charbon, pourtant l’énergie la plus polluante.
La transition écologique relève d’un changement de cap radical.
- Elle doit faire l’objet d’un pacte national à long terme pour être acceptée par les citoyens au lieu d’être imposée par les dirigeants.
- Dans l’attente de ce pacte, deux solutions s’ouvrent : suspendre la hausse programmée de la taxe carbone ou supprimer la TVA qu’elle supporte.
- La transition écologique doit être réorientée vers l’offre et l’innovation (captation et stockage de carbone, moteur à hydrogène…) au lieu de se résumer aux interdictions de produire pour les entreprises et à une avalanche de taxes.
- Cette politique de l’offre doit être déclinée au niveau de l’Europe, qui est aujourd’hui dépendante des Etats-Unis sur le plan numérique et de la Chine pour les batteries ou les filières solaire et éolienne.
- La transition écologique a vocation à être réintégrée dans la politique économique, ce qui implique d’ériger la baisse des dépenses publiques en priorité absolue, car elle conditionne la diminution durable des impôts dont dépend la soutenabilité politique et sociale de la taxe carbone.
- L’écologie doit enfin être repensée en termes de bien-être et de sécurité pour les citoyens au lieu d’être conçue comme le vecteur d’un nouvel arsenal de règlements et d’impôts au seul service d’un Etat irresponsable et aux abois.
(Chronique parue dans Le Point du 29 novembre 2018)