Le régime autocratique dessiné par Vladimir Poutine fait des émules en Chine, en Turquie ou encore en Afrique.
Vladimir Poutine fait l’objet d’une double méprise en Occident, et particulièrement aux États-Unis. Le déclin démographique et l’archaïsme d’une économie qui ne pèse plus que le douzième de celle de la Chine ont conduit à sous-estimer le retour en force de la Russie sur le plan stratégique et diplomatique, acté par puis l’intervention en Syrie. Cette politique de puissance vaut à Poutine d’être considéré comme une relique du passé soviétique. Il incarne au contraire une forme moderne d’autocratie, distincte des totalitarismes du XXe siècle.
Vladimir Poutine, totalement inconnu des Russes en 1999, s’est assuré un pouvoir sans partage et sans limitation de durée. La Nouvelle Russie de Vladimir Poutine est avant tout impériale. Elle effectue sur ce plan la synthèse entre le tsarisme et le soviétisme. Elle n’est plus totalitaire, car elle a abandonné l’idéologie communiste, le parti unique, le contrôle direct de l’économie et de la société par l’État, la terreur de masse que symbolisait le goulag. Elle inaugure le temps des régimes hybrides, qui empruntent à l’autoritarisme mais aussi à la démocratie avec l’organisation d’élections et un rôle de l’opinion publique.
La Russie de Vladimir Poutine réinvente ainsi l’autocratie au XXIe siècle autour de cinq principes. Le culte de la personnalité autour d’un chef, dont le succès aux élections est garanti par un appareil de propagande démesuré qui se déploie sur tous les médias, y compris numériques. Le remplacement du dogme marxiste par l’exaltation des passions nationalistes et de la religion orthodoxe. Le contrôle des grands monopoles privés à travers les liens personnels tissés avec des oligarques amis. L’horizon permanent de la guerre, depuis la Tchétchénie à l’intervention en Syrie en passant par la partition de la Géorgie et de l’Ukraine. Enfin la contestation du système international de l’après-guerre froide jugé trop favorable à l’Occident, en mettant à profit le trou d’air diplomatique et stratégique des États-Unis de Barack Obama ainsi que l’impuissance chronique de l’Europe.
La Russie paiera une nouvelle fois sa fascination pour l’autocratie. L’économie conjugue la récession, l’enfermement dans la rente des hydrocarbures, le retard technologique, la désintégration du système financier et la fuite des capitaux, qui atteint 150 milliards de dollars par an. La société est minée par la chute démographique, la déshérence des nouvelles classes moyennes, l’exil des cerveaux. Mais l’emprise de Vladimir Poutine sur le pouvoir et l’opinion ne se dément pas. Et ses succès militaires comme sa percée diplomatique au Moyen-Orient aux côtés de l’Iran contrastent avec les défaites en chaîne et le repli des États-Unis.
Force est ainsi de constater que le modèle autocratique dessiné par Vladimir Poutine fait de plus en plus d’émules. En Turquie tout d’abord, où Recep Erdogan, longtemps premier ministre, entend désormais concentrer tous les pouvoirs entre les mains de la présidence en révisant la Constitution. Et ce, en recourant largement aux mêmes recettes que Vladimir Poutine : culte de la personnalité, dérive nationaliste et religieuse, contrôle des grands groupes et des médias par des proches, hystérisation de l’opinion publique, organisation et mise en scène de la guerre civile contre les Kurdes. En Chine également, où Xi Jinping, devenu le leader le plus puissant et le plus célébré depuis Mao, laisse percer l’ambition de s’affranchir de la limite de dix ans imposée à ses prédécesseurs. Par ailleurs, on compte de plus en plus de régimes hybrides en Asie et en Afrique, continent où de nombreux chefs d’État, du Burundi au Congo, s’émancipent de l’État de droit pour rester au pouvoir.
Les régimes autocratiques ne présentent pas un front uni. La fulgurante ascension de la Chine, devenue la première économie du monde, contraste avec l’effondrement du système de production russe. Le nationalisme est indissociable de la réforme structurelle pour Xi Jinping alors qu’il en est l’antidote pour Poutine. L’impérialisme chinois reste prudent et cherche à éviter la confrontation directe avec les États-Unis en Asie, alors que la Russie les défie ouvertement en Syrie au risque d’une surexposition stratégique. La Russie et la Turquie s’opposent autour du régime de Damas et de l’avenir de Bachar el-Assad.
Pour autant, les empires hybrides partagent leur détestation de l’Occident, qu’ils considèrent à la fois comme leur premier adversaire et comme décadent. Le défi est économique avec l’ambition de la Chine de démontrer qu’elle gère le capitalisme plus efficacement que les États-Unis, stratégique ave cla nationalisation de la mer de Chine par Pékin et la déstabilisation par Moscou de la sécurité de l’Europe, humain avec le chantage aux réfugiés effectué par la Turquie sur l’Europe. Les nouveaux autocrates se targuent de disposer de la maîtrise du temps, ce qui leur permet de déployer des stratégies cohérentes et longues dans un monde chaotique et violent. Face à eux, les démocraties doivent se réformer et s’unir pour défendre la liberté tout en répondant aux risques globaux du XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 26 octobre 2015)