Stagnation de la productivité du travail, dette, dépendance, compétitivité dégradée… Ce pays souffre de tous les maux des pays émergents.
Les Jeux de Rio en 2016 risquent fort, à l’image de ceux d’Athènes en 2004, de rester dans l’Histoire comme le signal annonciateur de la faillite du pays. Imaginés pour célébrer le miracle brésilien, ils pourraient accélérer la chute d’une nation passée de figure de proue des BRICS avec Lula au symbole de la déconfiture des émergents avec Dilma Roussef.
La dynamique qui avait fait du Brésil la septième économie du monde s’est retournée. Alors que la croissance atteignait 7,5 % en 2010, l’économie est en récession en 2015, pour la première fois depuis les années 1930, à hauteur de 3 % du PIB. L’inflation s’élève à 9,4 %. Le chômage touche 7,5 % de la population active. La pauvreté progresse. Un double déficit s’est installé : déficit courant à hauteur de 4,5 % du PIB ; déficit budgétaire de 9 % du PIB qui a porté la dette publique à 70 % du PIB. La signature du Brésil a été dégradée par les agences de notation pour être rangée dans la catégorie des investissements spéculatifs. Le real a perdu plus de la moitié de sa valeur face au dollar, en moins d’un an. La compagnie pétrolière nationale, Petrobras, illustre la débâcle du pays. Alors qu’elle avait réalisé la plus importante augmentation de capital de l’histoire du capitalisme, elle a enregistré plus de 12 milliards d’euros de pertes en 2014, du fait d’une gigantesque affaire de corruption. Les détournements dépassent 2 milliards d’euros, notamment au profit du Parti des travailleurs.
Les deux moteurs de la croissance brésilienne sont durablement à l’arrêt : la consommation intérieure est bloquée par le surendettement des ménages lié à la progression de 40 points de PIB du crédit en une décennie ; les matières premières, qui représentent 60 % de ses exportations, sont frappées de plein fouet par la fin des Trente Glorieuses de la Chine, premier partenaire commercial, et le contre-choc pétrolier. Par ailleurs, le Brésil est menacé d’une implosion de son système de retraites : il est plus insoutenable encore que celui de la Grèce avec un départ moyen à 54 ans permettant de disposer d’une pension équivalente au salaire, alors que l’espérance de vie atteint 75 ans.
Le Brésil présente toutes les caractéristiques du mal des émergents : compétitivité dégradée ; exposition majeure au ralentissement brutal de la Chine ; forte dépendance à la rente des hydrocarbures ; dette extérieure élevée libellée en dollars ; double déficit structurel de la balance courante et des comptes publics. Dilma Roussef cherche à attribuer cette catastrophe à des causes conjoncturelles. Elles ne sont que le révélateur des profonds déséquilibres qui minent le Brésil : stagnation de la productivité du travail, dont le coût a augmenté de 150 % en dix ans ; déficit chronique d’investissements (18 % du PIB contre 31 % en Inde) ; faiblesse de la concurrence indissociable d’un protectionnisme endémique ; indigence des services publics, emballement des dépenses sociales ; faiblesse de l’État, qui se traduit par une corruption systématique et une envolée de la violence (hausse des homicides de 10 % par an). Mise en cause Réélue de justesse en 2014, Dilma Roussef détient le record mondial d’impopularité avec 8 % d’opinions favorables et se trouve menacée de destitution pour avoir présidé Petrobras durant une décennie. Elle est mise en cause dans deux procédures ouvertes par le tribunal supérieur électoral sur le financement illicite de sa campagne présidentielle et par le tribunal des comptes de l’Union. Elle essuie les feux croisés d’Aécio Neves, l’adversaire de 2014, qui souligne la justesse de son diagnostic et de son programme d’austérité, que tente finalement de mettre en oeuvre le ministre des Finances, Joaquim Levy ; et de l’ancien président Lula, qui veut éviter l’assimilation du Parti des travailleurs à un Parti des corrompus au moment où il est mis en cause dans le scandale Petrobras.
Le système politique est incapable de proposer une solution. Cette incertitude pèse lourdement sur toute l’Amérique latine, qui sera en récession de 1 % cette année du fait que le Brésil représente 60 % de son PIB. Pourtant, les atouts du pays restent majeurs, avec une population de 200 millions d’habitants, une classe moyenne comptant plus de 90 millions de personnes, d’immenses richesses naturelles qui en font le 4e exportateur agricole et le 6e producteur de pétrole, une économie diversifiée avec des entreprises leaders comme Embraer ou Vale, enfin 370 milliards de dollars de réserves de change. La crise du Brésil est d’origine intérieure. Or on ne règle jamais les problèmes avec ceux qui les ont créés. Dilma Roussef n’a ni la volonté ni la légitimité pour stopper la spirale infernale dans laquelle sa démagogie a enfermé son pays. Son départ est un préalable au redressement du Brésil. Le plus tôt sera le mieux.
(Chronique parue dans Le Point du 3 novembre 2015)