Il reste un an au président américain Barack Obama pour sauver sa politique internationale. Comment peut-il s’y prendre ? Les conseils de Nicolas Baverez.
Selon un préjugé largement partagé, les présidents américains qui ne se représentent pas sont réduits au statut de canard sans tête – « lame duck »–, cantonnés à des fonctions de représentation d’un pouvoir qu’ils n’ont plus la légitimité d’exercer. Or cette idée reçue se révèle une idée fausse. Au cours de son ultime année de présidence, Ronald Reagan signa l’accord de libre-échange avec le Canada et fit ratifier le traité sur l’élimination des armes nucléaires intermédiaires ; Bill Clinton lança deux programmes majeurs de conservation des espaces naturels et de lutte contre la drogue tout en accordant à la Chine le statut de la nation la plus favorisée et en ouvrant largement le commerce avec l’Afrique ; George W. Bush engagea le retrait d’Irak et le programme de soutien à l’économie le plus important depuis le New Deal pour tenter de faire face au krach de 2008.
La première priorité de Barack Obama sera de préserver le remarquable redressement économique qu’il a su accompagner, sinon toujours diriger. Son élection, fin 2008, se déroula à l’ombre portée du pire krach depuis octobre 1929 et de la menace d’une nouvelle grande déflation. Huit ans après, les Etats-Unis ont retrouvé un rythme de croissance de 2,7 % par an. Ils ont renoué avec le plein-emploi avec un taux de chômage revenu de 10 % à 5 % depuis 2009 et créé 2,7 millions de postes de travail en 2015. Les salaires augmentent de 2,5 % par an alors que l’inflation est contenue. Le déficit budgétaire a été réduit de 10 à 2,5 % du PIB.
La sortie de crise réussie des Etats-Unis doit beaucoup à la politique monétaire très expansionniste conduite par la Fed, au développement des hydrocarbures non conventionnels qui ont replacé les Etats-Unis en tête des producteurs mondiaux de pétrole, au leadership incontesté dans les technologies de l’information et les sciences de la vie. Elle se trouve désormais menacée par le ralentissement de l’économie mondiale venu de Chine et des émergents qui pèse sur l’industrie et les exportations, par l’effondrement des prix du pétrole, par la remontée des taux d’intérêt qui peut provoquer l’éclatement des bulles spéculatives sur les marchés d’actions et sur les obligations à haut rendement. La résilience de l’économie américaine dépendra ultimement du dynamisme de la demande intérieure, donc d’une répartition moins inégalitaire des fruits de la reprise.
L’hostilité frontale du Congrès interdira assurément à Barack Obama d’engager des réformes importantes en politique intérieure. Dans les domaines de l’immigration ou de l’environnement, il ne pourra, comme récemment pour le contrôle des armes à feu, gouverner que par décret, ce qui limite fortement ses possibilités d’action, multiplie la probabilité de recours contentieux et divise profondément l’opinion.
En revanche, sa capacité d’initiative dans le champ diplomatique et stratégique restera intacte. Nul doute qu’il mettra à profit l’année 2016 pour capitaliser sur ses succès et tenter d’atténuer ses échecs.
A l’actif figurent quatre grands accords qui devront être mis en application : le traité de Vienne doit déboucher sur une véritable réintégration de l’Iran sur la scène internationale afin de rééquilibrer la relation avec l’Arabie saoudite ; la normalisation avec Cuba permet d’envisager une nouvelle ère entre les deux Amériques ; la ratification de l’accord de libre-échange TPP entend donner un contenu au pivot vers l’Asie avec pour objectif d’endiguer la montée en puissance de la Chine ; enfin, la mise en œuvre des engagements souscrits lors de la COP21 vise à accélérer la transition écologique de l’économie américaine. Autant d’orientations qui, si elles deviennent définitives, pèseront durablement sur les équilibres économiques et géopolitiques de la planète.
Simultanément, Barack Obama cherchera à gommer la partie la plus faible et la plus préoccupante de son bilan en matière de sécurité. Le retrait unilatéral des Etats-Unis a en effet ouvert de vastes espaces dans lesquels se sont engouffrés l’Etat islamique, d’une part, les empires chinois, russe, iranien et turc, d’autre part. Les menaces stratégiques que constituent le djihad planétaire lancé par l’Etat islamique comme le renouveau des impérialismes ont été notoirement sous-estimées. La crédibilité stratégique des Etats-Unis a été mise à mal, notamment par leurs atermoiements face à la guerre de Syrie, et leurs alliances traditionnelles durablement fragilisées, en Europe et en Asie comme au Moyen-Orient. Barack Obama n’a donc d’autre choix que d’intensifier la guerre contre l’Etat islamique en cherchant à fédérer la coalition la plus large possible autour d’une stratégie globale, à la fois militaire, économique, financière et cybernétique. Pour ce qui est de la Russie, la seule issue consiste à négocier son engagement à respecter la sécurité de l’Europe – Ukraine comprise – contre la levée des sanctions internationales. Or il est hautement improbable que Vladimir Poutine accepte d’en discuter avec Barack Obama.
En définitive, la meilleure façon pour Barack Obama de garantir les acquis de sa présidence et d’infirmer les critiques de ses détracteurs demeure de contribuer à l’élection de Hillary Clinton à la présidence des Etats-Unis. Et la meilleure manière de soutenir Hillary Clinton consiste à agir et à mettre pleinement la capacité de leadership des Etats-Unis au service de la lutte contre les guerres de religion, les passions nationalistes, l’instabilité économique et le déchaînement des populismes.
(Chronique parue dans Le Point du 20 janvier 2016)