Tout sépare les États-Unis et la Chine, à l’exclusion de leur commune volonté de dominer le XXIe siècle.
Une nouvelle phase des relations entre les États-Unis et la Chine s’est ouverte à partir de 2016, dominée par une confrontation ouverte pour le leadership du XXIe siècle. Donald Trump a désigné la Chine comme l’adversaire principal des États-Unis et lancé contre elle une guerre commerciale, monétaire et technologique tous azimuts. Sous le tournant protectionniste et les coups de communication se dessine une stratégie. D’un côté, accords bilatéraux et exemptions stabilisent progressivement les relations avec les alliés : Mexique, Canada, Japon, Corée du Sud et Union européenne. De l’autre, l’instauration de droits supplémentaires touchant 200 milliards de dollars d’exportations chinoises est mise au service de quatre objectifs pour bloquer l’ascension de Pékin. Au plan industriel, la recomposition des chaînes de production et d’approvisionnement en dehors de la Chine, particulièrement pour les activités liées à la défense. Au plan technologique, le ciblage des secteurs prioritaires du plan « Made in China 2025 ». Au plan financier, le blocage des prises de contrôle par des intérêts chinois d’entreprises stratégiques, à l’image du refus d’autoriser l’offre de Broadcom sur Qualcomm. Au plan géopolitique, le tarissement des excédents commerciaux et des réserves de change qui financent l’exportation du modèle chinois à travers les « nouvelles routes de la soie ».
De son côté, la Chine avance désormais à visage découvert. En octobre, le XIXe Congrès du Parti a vu Xi Jinping accéder à la présidence à vie en même temps que la nouvelle ère du socialisme chinois se voyait assigner pour but le leadership mondial à l’horizon de 2049. La Chine déploie pour cela une stratégie globale. Réaffirmation du monopole du pouvoir du Parti communiste et de son idéologie à travers la pensée Xi. Réorientation de la croissance, désormais tirée par la demande interne, vers les entreprises et les emplois chinois. Montée en gamme et conquête de la frontière technologique avec des investissements massifs dans l’espace, la 5G, le cyber et l’intelligence artificielle. Construction d’une marine de haute mer et annexion de la mer de Chine afin de créer un glacis stratégique et de repousser les États-Unis sur la côte est du Pacifique. Projection du modèle autoritaire chinois via la prise de contrôle d’entreprises et d’infrastructures essentielles, voire de pays entiers, planifiée par les « nouvelles routes de la soie », afin de reconfigurer la mondialisation autour de Pékin.
Le constat dressé par Trump sur la Chine est exact. Le pari effectué lors de son entrée à l’OMC sur sa démocratisation et sa conversion à l’économie de marché, indissociable de l’État de droit, a été perdu. L’offensive commerciale américaine n’est pas sans efficacité. Elle a provoqué un net ralentissement de la croissance chinoise, autour de 6 %, contribué à la chute de 20 % de la Bourse de Shanghai, renforcé la fuite des capitaux et limité les ressources disponibles pour les projets portés par les « nouvelles routes de la soie ».
Pour autant, la stratégie poursuivie par Trump apparaît extrêmement risquée pour les États-Unis comme pour l’ensemble du monde. Les possibilités de représailles de la Chine sont réelles : hausse des droits visant les produits du Midwest et des zones rurales favorables aux républicains ; dévaluation compétitive du yuan renminbi, qui a perdu 6 % depuis le début de l’année ; rétorsion sur les entreprises étrangères opérant en Chine ; cession de bons du Trésor dont Pékin est le deuxième détenteur après la Fed. Le protectionnisme couplé à une relance keynésienne sur une économie en plein emploi crée une surchauffe de l’économie américaine – provoquant la hausse conjointe de l’inflation et des taux qui ont dépassé 3,20 % – ainsi qu’une correction brutale des marchés financiers, sur fond de baisse de la croissance et des échanges mondiaux à 3,7 % et 4 %. Pour les Américains comme pour la planète, la politique de Trump se traduira par moins de croissance, plus d’inflation et une nouvelle secousse financière que nul ne sait comment gérer. La division des démocraties, la délégitimation de leurs valeurs, le démantèlement de l’ordre mondial de 1945 et des institutions de Bretton Woods ouvrent autant d’espaces bénéficiant directement à la Chine, qui reprend systématiquement les positions abandonnées par la diplomatie et les entreprises occidentales.
Tout sépare les États-Unis et la Chine, à l’exclusion de leur commune volonté de dominer le XXIe siècle. L’enjeu central de leur confrontation est la liberté politique à l’âge de l’histoire universelle et de la révolution digitale. Les États-Unis ne pourront l’emporter que s’ils se réconcilient avec le fil libéral de leur histoire, de leurs valeurs et de leurs institutions. Donc s’ils conjurent la dérive populiste qu’incarne Donald Trump.
(Chronique parue dans Le Figaro du 15 octobre 2018)