Tandis que les démocraties sont déstabilisées par les démocratures, l’Occident se fracture et les alliances stratégiques sont fragilisées.
En 1930, Henry Ford avait plaidé devant le président Herbert Hoover pour le convaincre de mettre son veto à la loi Smoot-Hawley qui augmentait les droits de douane de 38 à 59 % en moyenne sur plus de 20 000 produits, en soulignant que le protectionnisme était une « stupidité économique ». Le président des États-Unis de l’époque choisi la démagogie politique contre la raison économique. Il commit ainsi une magistrale erreur qui amplifia la crise. Les États-Unis lancèrent en 1930 la course au protectionnisme et aux dévaluations compétitives qui transforma la récession américaine en déflation mondiale et provoqua l’effondrement des trois quarts des échanges et des paiements mondiaux en une décennie.
Donald Trump renoue avec la même faute. En moins d’un an, il a tenu les promesses faites à sa clientèle électorale en détruisant l’ordre commercial international inspiré des États-Unis qui sous-tendait la mondialisation. Les prochaines étapes de l’offensive tous azimuts conduite par la Maison-Blanche sont l’industrie automobile, dont les importations vers les États-Unis sont menacées de taxes de 20 à 25 %, et l’Organisation mondiale du commerce dont ils pourraient se retirer après avoi bloqué l fonctionnement de l’organe de règlement des différends en opposant un veto systématique à la nomination de nouveaux juges.
En apparence, les mesures protectionnistes mises en place par les États-Unis demeurent limitées, puisqu’elles ne touchent que 5 % des importations américaines et que leur impact potentiel sur la richesse de la Chine, de l’Union européenne ou du Japon est marginal. Mais la dynamique de la guerre commerciale est lancée. Avec des effets désastreux qui soulignent que le protectionnisme est un jeu perdant-perdant, y compris pour les États-Unis.
L’engrenage des représailles n’a pas manqué d’être enclenché. La Chine et l’Union ont répliqué en privilégiant une logique politique, qui cible les circonscriptions des dirigeants républicains au Congrès, à l’image des taxes européennes sur les motos Harley Davidson, les jeans ou le bourbon. Au-delà des ripostes sur les échanges, la Chine a engagé l’escalade en pilotant la dévaluation compétitive du yuan et en vendant des bons du Trésor américains dont elle est, avec un portefeuille de 1 100 milliards de dollars, le second plus important détenteur après la Fed.
Les effets de l’onde de choc protectionniste sont déjà perceptibles. Les mesures arrêtées par Trump seront impuissantes à opérer le rééquilibrage du commerce extérieur américain, dont la raison profonde provient de l’insuffisance de l’épargne des ménages. La croissance ralentit du fait de la rupture des chaînes de valeur ainsi que de la suspension de certains investissements et des créations d’emplois dans les secteurs les plus exposés : technologies de l’information, automobile et aéronautique, énergie et matériaux, agriculture. L’inflation renaît, minant le pouvoir d’achat des ménages. La consommation est lourdement affectée par l’envol de 40 % des prix du pétrole, encouragé par les sanctions contre l’Iran.
Au plan financier, les taux d’intérêt et la volatilité remontent, créant un risque de choc au moment où le démantèlement des institutions multilatérales prive l’économie mondiale de toute réassurance concertée. Les investissements directs étrangers affichent un recul de 23 % tandis que les introductions en Bourse enregistrent un repli de 15 % en 2018.
Au plan géopolitique, alors qu’excédents commerciaux et pratiques déloyales sont principalement en Chine, les sanctions américaines accablent leurs alliés. Tandis que les démocraties sont déstabilisées par les démocratures chinoise, russe et turque, l’Occident se fracture et les alliances stratégiques sont fragilisées.
Le bilan du tournant protectionniste des États-Unis est si négatif que les revirements de Trump se multiplient sous la pression des entreprises et des marchés. Un compromis bancal s’est imposé dans l’urgence pour l’équipementier chinois ZTE, qui continuera à s’approvisionner aux États-Unis en contrepartie d’une amende de 1,4 milliard de dollars et de l’autorisation donnée par Pékin à Qualcomm de racheter NPX. L’interdiction pour toute entreprise appartenant pour plus de 25 % à des capitaux chinois d’investir dans la technologie a été reportée après avoir provoqué une violente secousse sur le Nasdaq. Il en ira de même pour les surtaxes envisagées sur les importations automobiles que pour celles appliquées à l’acier et à l’aluminium : elles se traduiront par la destruction nette de 195 000 emplois aux États-Unis dans les trois ans. « Protection, c’est spoliation : c’est là son côté odieux. Protection, c’est déception : c’est là son côté ridicule », concluait à raison Frédéric Bastiat.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 juillet 2018)