Si Emmanuel Macron a restauré l’image de la France sur la scène internationale, ses choix de politique étrangère sont contrariés.
Emmanuel Macron a été élu pour ramener la prospérité et le plein-emploi en France, mais aussi pour la réconcilier avec l’Europe et le monde du XXIe siècle. Son succès repose sur le lien qu’il a su établir entre la redéfinition du modèle français, la refondation de l’Union et la restauration du rôle international de notre pays. Sa stratégie consiste à être fort en Europe afin de légitimer les réformes en France.
Le président s’est ainsi massivement investi sur la scène européenne et mondiale avec quatre objectifs : saisir la fenêtre d’opportunité qui s’ouvrait avant la fin des négociations sur le Brexit et le début des élections européennes pour refonder l’Union et la zone euro grâce à un partenariat avec l’Allemagne ; bâtir une relation de proximité personnelle avec Donald Trump pour modérer, voire désarmer le tournant isolationniste, unilatéraliste et protectionniste des États-Unis ; instaurer un dialogue avec les hommes forts qui reconfigurent le système international ; ériger la France comme médiateur dans les crises du XXIe siècle, dans la droite ligne du général de Gaulle se positionnant au cœur de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud.
Depuis son élection, Emmanuel Macron s’est imposé parmi les dirigeants mondiaux et s’est vu reconnaître le potentiel pour reprendre la direction de l’Europe des mains d’Angela Merkel, en proie à une profonde dépression politique et personnelle. Il a restauré l’image effondrée de la France à l’étranger. Les capitaux internationaux, les entreprises et les talents sont de retour, notamment du fait du Brexit, qui plonge le Royaume-Uni dans le chaos. Mais, dans le même temps, tous ses paris de politique étrangère ont échoué : Jupiter pose et tonne, mais sa foudre se limite à l’ordre de mots sans peser sur les choses, ce qui nourrit des doutes croissants sur sa capacité de leadership.
Perdu, le pari de la croissance tirée par l’extérieur pour financer les réformes. La reprise de 2017 fut aussi tardive qu’éphémère. Après 2,2 % en 2017, la croissance retombera à 1,7 % en 2018 et 1,5 % pour 2019, tandis que l’inflation atteint 2,3 %. Avec pour conséquences la stabilisation du chômage, qui touche 9,2 % de la population active, et la remontée du déficit public vers 3 % du PIB en 2019, qui portera la dette au-delà de 100 % du PIB à la suite de la reprise de la dette de la SNCF. Le retournement s’explique par des causes extérieures avec la fin du cycle d’expansion qui a démarré en 2009 aux États-Unis, l’envolée de 40 % du prix du pétrole en un an, la hausse des taux d’intérêt et de la volatilité sur les marchés, mais aussi par l’erreur de politique économique qui a consisté à augmenter de 4,5 milliards les impôts sur les ménages sans endiguer la course folle de dépenses publiques.
Perdu, le pari de la relation particulière avec Donald Trump. Force est de constater que les multiples démonstrations d’amitié à Paris puis lors de la visite d’État à Washington ont été vaines. Elles n’ont pas dissuadé Trump d’entreprendre le démantèlement méthodique des traités commerciaux, des alliances et des institutions multilatérales. Pis, les sanctions commerciales américaines ont délibérément ciblé l’Europe pour l’acier et l’aluminium, en attendant l’automobile.
Perdu aussi, le parti du dialogue stratégique avec les hommes forts des démocratures, qui entendent tirer tout le bénéfice possible de la décomposition du leadership américain – des nouvelles routes de la Soie de Xi au chantage aux réfugiés d’Erdogan en passant par le rôle central conquis par la Russie au Moyen-Orient et à sa pression sur toute l’Europe orientale. Prétendre nouer des relations de confiance avec eux s’est révélé illusoire.
Perdu encore, le pari de parler à tous dans un monde emporté par une logique de guerre commerciale, technologique mais aussi militaire. Les frappes sur le régime de Damas, effectuées avec les États-Unis et le Royaume-Uni, sont restées virtuelles en ne touchant que des sites désaffectés, contrairement à celles d’Israël sur les implantations iraniennes en Syrie. Le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire prépare le recours à la force contre l’Iran, obligeant chacun à choisir son camp au Moyen-Orient.
Perdu enfin et surtout, le pari européen. Le projet de refondation de l’Europe, développé lors des discours de la Pnyx et de la Sorbonne, est mort-né, télescopé par la vague populiste. Macron, hier célébré, se retrouve totalement isolé par la percée de l’AfD qui a tétanisé Merkel et mine son gouvernement, par la coalition entre la Ligue et 5-Etoiles qui a émergé des élections italiennes, par l’alignement de l’Europe centrale et orientale sur la démocratie illibérale promue par Viktor Orban. Le renforcement de la zone euro, la définition de politiques communes en matière de commerce, de fiscalité et d’économie numérique, la naissance d’une défense européenne sont conditionnés par un accord sur la gestion des réfugiés et le contrôle des frontières extérieures, dont l’échec du sommet de Bruxelles a confirmé qu’il est introuvable. En guise d’Europe en marche, les élections européennes menacent ainsi de se transformer en triomphe des forces hostiles à l’Union et à la démocratie libérale.
Le moment français et européen n’est pas totalement dissipé. Macron dispose encore d’une chance pour s’affirmer comme le leader de l’Europe et d’une certaine idée du monde libre face à Trump. Mais cela implique de repositionner une politique étrangère placée en apesanteur par la destruction de l’ordre international issu de la Seconde Guerre mondiale et par le choc populiste. La posture du « en même temps » n’a plus de sens dans un moment où il est impératif d’afficher des valeurs et de déterminer une ligne politique claire. D’où l’urgence de réarticuler l’action extérieure de la France autour de quatre dimensions : l’autonomie stratégique qui passe par un réinvestissement massif dans l’État régalien, notamment dans la défense et dans la diplomatie ; la reconfiguration de l’Union européenne comme instrument de souveraineté monétaire, financière, juridique, technologique et sécuritaire face aux Etats-Unis, à la Chine et aux blocs régionaux qui se dessinent ; le sauvetage du multilatéralisme et de l’embryon de société internationale ; la défense de la liberté politique contre le populisme, qui ne peut se limiter à des postures morales mais passe par l’éradication de ses causes profondes.
Le cardinal de Retz rappelait qu’« il y a loin de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution aux choix des moyens, du choix des moyens à l’application ». La politique étrangère d’Emmanuel Macron ne peut rester cantonnée au stade de la velléité et de la volonté ; elle doit se décliner en résolution, en choix des moyens et en application.
(Chronique parue dans Le Point du 28 juin 2018)