Malgré une hausse de l’économie mondiale, les séquelles du choc de 2008 et des politiques pour éviter une déflation mondiale se font toujours sentir.
L’économie mondiale se trouve engagée dans une forte reprise. La croissance atteindra 3,9 % en 2018 et les échanges internationaux progresseront de près de 4,8 %, confortant le retour au plein-emploi avec un taux de chômage ramené à 5,5 % de la population active. L’écart entre monde développé et émergent se réduit, avec une croissance respective de 2,5 et 4,7 %, sur fond de réindustrialisation des pays développés.
Pourtant, cette reprise reste fragile et les signaux d’alerte se multiplient. Le haut du cycle d’expansion, qui a démarré en avril 2009 aux États-Unis, a été franchi à la fin de 2017 : l’activité demeure élevée mais n’accélère plus. Les deux moteurs de la reprise sont en passe de se gripper. L’essor des échanges internationaux est sous la menace de la guerre commerciale, monétaire et technologique lancée par les États-Unis, qui passe par la hausse des droits de douane, le contrôle des investissements et la multiplication des sanctions. L’effort d’investissement, rendu nécessaire par la révolution numérique et indispensable pour générer des gains de productivité, bute sur l’endettement des entreprises et la remontée des taux d’intérêt à long terme.
La reprise se voit rattrapée par les séquelles du choc de 2008 et des politiques de soutien de l’activité légitimement déployées pour éviter une déflation mondiale. La nouvelle crise de surendettement qui se profile résulte du réamorçage de l’économie de bulle qui a porté le total des dettes publiques et privées à 237 000 milliards de dollars à la fin 2017, soit 318 % du PIB mondial. Les deux géants qui se disputent le leadership du XXIe siècle illustrent dérives et risques du surendettement.
Aux États-Unis, le programme de baisse des impôts de Donald Trump, concentré sur les entreprises et les classes supérieures, creusera le déficit de l’État fédéral à plus de 1 000 milliards de dollars en 2020 – soit 5 % du PIB – , poussant la dette publique à 117 % du PIB en 2023. Cette relance keynésienne sur une économie en plein-emploi (taux de chômage de 3,9 %), doublée de mesures protectionnistes, ne peut, comme à la fin des années 1960, conduire qu’à la diminution de la croissance et à la hausse de l’inflation (2,5 % en 2018), c’est-à-dire à la stagflation.
En Chine, Xi Jinping a préparé l’opinion à son accession à la présidence à vie en ranimant les feux de l’hyper-croissance. L’activité a progressé de 6,9 % en 2017 au prix de l’ouverture des vannes du crédit. Les dettes publiques et privées culminent à 250 % du PIB, notamment du fait des entreprises dont les emprunts représentent 166 % du PIB. La Chine, à travers les « nouvelles routes de la soie », utilise la dette comme une arme pour prendre le contrôle de gouvernements (Pakistan, Laos, Sri Lanka, Djibouti, Venezuela…) ou d’actifs stratégiques.
L’économie mondiale, qui n’a plus connu de choc depuis la chute du pétrole et des matières premières en 2014, entre dans une période à haut risque qui explique le retour de la volatilité sur les marchés financiers. La guerre commerciale et monétaire amplifiera le retournement du cycle. Elle favorise la hausse des prix, alimentée par la hausse du pétrole avec un baril proche de 75 dollars. Les taux d’intérêt franchissent le seuil symbolique de 3 % pour les bons du Trésor à dix ans aux États-Unis, ce qui pourrait amorcer un mouvement de remontée brutale des taux à long terme.
La sortie de l’ère de l’argent gratuit oblige marchés et institutions financières à coter à nouveau les risques, dès lors qu’ils ne bénéficient plus d’une réassurance illimitée des banques centrales. Mais elle comporte aussi des risques de krach obligataire si la remontée des taux s’emballe ou de défaut d’États ou d’entreprises, dont certains peuvent disposer d’une dimension systémique.
Les pays émergents sont particulièrement exposés, pris sous le feu croisé de la hausse du dollar et des taux ainsi que du retour des capitaux vers les États-Unis. L’Europe est vulnérable. En dehors de l’Allemagne et de l’Europe du Nord, qui disposent d’une solide compétitivité structurelle, la reprise, qui ne date que de la fin 2014, a été déclenchée par la baisse du pétrole, des taux et de l’euro qui se sont transformés en autant de hausses. Le système financier est convalescent. La zone euro, dont le ralentissement est confirmé et le renforcement compromis, serait menacée d’éclatement en cas de nouvelle divergence entre Nord et Sud, a fortiori si le successeur de Mario Draghi devait rompre avec sa stratégie. La France demeure dans une situation critique.
À l’opposé de la zone euro, qui réduit lentement son endettement (86,7 % du PIB), notre pays continue à laisser dériver les dépenses (56 % du PIB) et la dette publique (97 % du PIB hors les 55 milliards de la SNCF et les 33 milliards d’EDF), la réduction du déficit n’étant due qu’à la seule amélioration d’une conjoncture qui se retourne.
(Chronique parue dans Le Figaro du 30 avril 2018)