La révolution numérique touche tous les secteurs. L’Europe et la France doivent se mobiliser pour combler leur retard.
La quatrième révolution technologique, qui fut cette année le thème central du sommet de Davos est en marche. Elle ne relève pas de la prospective mais de la réalité. Après la machine à vapeur, après l’électricité, après l’informatique, la convergence de l’économie des données, de la robotique, de la connectivité des objets et de l’intelligence artificielle bouleverse non seulement la production mais la vie des sociétés et l’équilibre du monde.
Les effets sont tangibles et multiples. Aux États-Unis, les capitaux et les talents se détournent de Wall Street pour affluer vers la Silicon Valley et Boston, à l’image de General Electric qui se désengage de la finance pour réinvestir l’industrie dans sa version numérique. La capitalisation du Gafa excède de 200 milliards celle du CAC40 et les levées de fonds des start-up ont dépassé 100 milliards de dollars l’an dernier. Le prix de l’immobilier à San Francisco est désormais supérieur à celui de Manhattan, alors que 30 % des bureaux sont occupés par des entreprises de technologies. Le salariat recule dans le monde développé face au travail indépendant : il emploie plus de 4,5 millions de personnes au Royaume-Uni et contribue directement au retour au plein-emploi en Angleterre (taux de chômage de 5,2 %) comme aux États-Unis (taux de chômage de 5 %).
La nouvelle révolution technologique présente cependant des traits inédits. Elle touche tous les secteurs d’activité et efface les frontières entre l’industrie et les services. Elle est universelle. Elle se déroule en temps réel et fait de la vitesse un facteur clé. Elle met la machine en situation de remplacer voire de contrôler l’homme. Dès lors, les nouvelles frontières ne sont plus dans la technologie mais dans l’homme.
Les conséquences sont immenses. Économiques, avec le bouleversement des modèles de développement qui basculent vers les consommateurs et les distributeurs au détriment des producteurs. Sociales, avec la possible disparition de la moitié des emplois existants d’ici à 2030 et l’effritement du salariat. Juridiques avec les questions soulevées par la propriété, la protection et les modalités d’exploitation personnelles. Politiques, avec l’impuissance des États à réguler et lever l’impôt sur les plateformes numériques. Stratégiques, avec la domination de l’économie numérique par les États-Unis et la Chine, indissociables de la perte de leur souveraineté par les autres nations, comme l’a montré la surveillance électronique mondiale mise en place par la NSA. Éthiques, avec la multiplication des projets pour modifier ou augmenter l’homme en intervenant sur son patrimoine génétique et en lui greffant des organes ou des membres connectés.
La révolution numérique crée ainsi des risques qui s’ajoutent aux séquelles de la crise de 2008, aux bulles financières, au réchauffement climatique ou aux nouvelles menaces stratégiques liées au terrorisme islamique et au réveil des empires. Les suppressions nettes d’emplois pourraient atteindre 5 millions de postes dans les grandes économies d’ici à 2020, ajoutant aux 200 millions de chômeurs actuellement recensés dans le monde. La polarisation des activités, des territoires et des emplois aggraverait les inégalités, alors que 4 milliards d’hommes continuent à ne pas être connectés et que la planète compte 1,5 milliard de personnes précaires. Les démocraties, minées par les populismes, seraient menacées par la déstabilisation des classes moyennes et par la vitesse du numérique, incompatible avec le temps du débat et de l’élaboration des décisions par les différents pouvoirs.
Le destin de la 4e révolution technologique dépendra de ce que les hommes en feront. Il ne dépend que d’eux d’en utiliser son potentiel tout en limitant ses possibles dérives. Les priorités sont clairement identifiées. Investir massivement dans l’éducation et l’accès au savoir. Lutter contre les inégalités par le renforcement de l’autonomie des individus et non par des transferts sociaux ruineux et inefficaces. Assurer le financement des nouvelles infrastructures pour éviter les fractures entre les personnes et les territoires. Libérer les capacités d’entreprendre en favorisant la mobilité du capital et du travail. Reconfigurer l’État autour de la sécurité des citoyens et des acteurs économiques et sociaux.
L’Europe et la France doivent se mobiliser avec une particulière énergie pour combler leur retard. Le poids de notre continent dans l’économie numérique a régressé de 32 à 19 % en une décennie. La France, en dépit d’un exceptionnel capital humain, a chuté jusqu’à la 26e place mondiale. Au lieu de subir la révolution technologique, faisons-la ! L’Europe et la France doivent se mobiliser avec une particulière énergie pour combler leur retard. Ce ne sont pas les technologies mais les stratégies qui les mettent en œuvre
qui déterminent la richesse et la puissance des entreprises et des nations.
(Chronique parue dans Le Figaro du 25 janvier 2016)