Le maintien au pouvoir de la chancelière allemande Angela Merkel n’a de sens que s’il débouche sur une refondation de l’Europe.
Angela Merkel doit se succéder à elle-même pour accomplir un quatrième mandat. Mais à quel prix ? La coalition est un choix par défaut, dû à la poussée de l’extrême droite et à la peur de nouvelles élections. L’accord entre les perdants ne fait que des perdants, à l’exception de l’AfD, qui s’affirme comme la principale force d’opposition. Perdants, les électeurs allemands qui se sont prononcés pour le changement. Perdants, les partis de la coalition qui obtiennent leurs pires résultats depuis 1949 : la CDU, sacrifiée au maintien d’Angela Merkel à la chancellerie ; la CSU, qui conquiert l’Intérieur mais se retrouve en première ligne dans la gestion des réfugiés, tout en étant ligotée par l’accord de gouvernement ; le SPD, qui monopolise les ministères majeurs, mais est divisé, comme le prouve la renonciation de Martin Schulz au ministère des Affaires étrangères. Perdante, surtout, Angela Merkel, délégitimée. Elle symbolisait la force de l’Allemagne, qui lui avaient servi de socle pour imposer son leadership en Europe. Elle incarne aujourd’hui sa paralysie politique, qui tranche avec sa vitalité économique. Elle a une responsabilité majeure, du fait de sa décision unilatérale en 2015 d’accueillir sans condition les migrants, dans la renaissance de l’extrême droite allemande, dans la flambée du populisme en Europe et dans l’apparition d’un nouveau mur entre l’est et l’ouest du continent.
Le second miracle économique allemand né de l’Agenda 2010 se prolonge. Deutschland AG tourne à plein régime. La croissance a atteint 2,2 % en 2017 ; la place financière de Francfort se taille la part du lion dans la relocalisation des institutions financières sur le continent à la suite du Brexit ; le plein-emploi règne, avec la création de 500 000 emplois par an et un taux de chômage réduit à 3,6 % de la population active ; l’excédent commercial s’est élevé à 245 milliards d’euros ; les comptes publics sont excédentaires de 1,2 % du PIB et le désendettement s’accélère avec une dette ramenée à 66 % du PIB fin 2017. Mais cette puissance économique est désormais menacée par la remise en question du modèle de croissance. L’épreuve de force remportée par IG Metall se traduit par la multiplication des hausses de salaire : 4,3 % dans la métallurgie et de 6 à 11 % demandés dans la fonction publique. Les écrasants surplus commerciaux sont dans la ligne de mire de l’administration Trump, qui envisage des mesures protectionnistes dans le secteur automobile et multiplie les sanctions contre certains partenaires clés de Berlin. Le Dieselgate, le cartel de l’automobile ou la déconfiture de Deutsche Bank soulignent les failles de la gouvernance des grandes entreprises. La société allemande, qui faisait figure d’exemple pour sa capacité à faire des compromis, s’est divisée et polarisée autour de l’accueil des réfugiés et de la multiplication des attentats islamistes. Enfin, l’Europe et le monde ont été déstabilisés par le renouveau des menaces stratégiques émanant du djihadisme ou des démocratures, et Enfin, l’Europe et le monde ont été déstabilisés par le renouveau des menaces stratégiques émanant du djihadisme ou des démocratures, et plus encore par le choc populiste qui a frappé le Royaume-Uni et les États-Unis. Le Brexit et Donald Trump remettent en question les valeurs et les institutions qui présidèrent à la reconstruction puis à la réunification de l’Allemagne, comme la garantie de sécurité que lui donnaient les États-Unis dans le cadre de l’Otan.
En ces temps de turbulences, Angela Merkel reconduit une coalition éreintée avec les dirigeants usés des vieux partis, offrant un saisissant contraste avec la France d’Emmanuel Macron ou l’Autriche de Sebastian Kurz, âgé de 31 ans. Le sursis qu’elle a arraché sera-t-il un mandat pour rien ? Le pire n’est pas certain. La réorientation du modèle allemand vers la demande intérieure est bien engagée, comme le montrent les hausses de salaire et la reprise de l’investissement. Les soutiens prévus par la coalition à la formation et à l’éducation, à l’innovation et à l’économie numérique renforceront, en outre, la compétitivité structurelle de l’appareil de production. Le défi le plus difficile se situe en matière de sécurité et d’immigration, car il implique une redéfinition du consensus fondateur de la démocratie allemande.
L’Europe peut aider à surmonter ces dilemmes. Elle se voit d’ailleurs accorder la priorité dans le futur contrat de gouvernement qui s’ouvre sur la nécessité d’un nouveau départ pour l’Union. Angela Merkel s’est imposée comme une remarquable gestionnaire de coalition plus que comme une visionnaire. Elle a géré au mieux l’héritage politique de Helmut Kohl et économique de Gerhard Schröder plus qu’elle n’a tracé de voies nouvelles. Son maintien au pouvoir n’a de sens que s’il débouche sur une refondation de l’Europe dont les grands axes sont connus :
- le renforcement de la zone euro ;
- la souveraineté commerciale, fiscale et numérique du continent ;
- la sécurité, le contrôle des frontières et l’unification des règles applicables à l’immigration.
Angela Merkel, affaiblie à l’intérieur comme à l’extérieur, a pour seule stratégie l’Union européenne, dès lors qu’elle ne peut plus compter sur les États-Unis, et a pour seul partenaire la France, après le Brexit. De son côté, Emmanuel Macron s’est imposé comme le leader de l’Europe sans disposer des moyens de sa politique et a un besoin vital d’une relance de la zone euro pour conduire le redressement de la France. Tous deux joueront largement leur destin autour de la reconfiguration de la zone euro et de l’Union. Le calendrier est très serré : il s’inscrit entre avril 2018, quand seront normalement en place les nouveaux gouvernements allemand et italien, et l’automne 2018, qui connaîtra l’issue des négociations sur le Brexit et le début de la campagne pour les élections européennes de mai 2019.
(Chronique parue dans Le Point du 15 février 2018)