La croissance inclusive est une condition à la survie des démocraties comme à la coexistence des 11,5 milliards d’hommes qui se partageront la planète au siècle prochain.
Dix ans après la pire crise du capitalisme depuis 1929, l’économie mondiale renoue avec croissance et plein emploi. L’activité progressera de 3,9 % en 2018 et 2019 tandis que le taux de chômage est revenu à 5,6 % de la population active. L’expansion est générale à la seule exception des zones de guerre ou des dictatures comme le Venezuela ; elle retrouve un rythme de croisière de 2 % dans les pays développés et 5 % chez les émergents. La reprise est saine car portée par le redémarrage de l’investissement. La stagnation séculaire apparaît donc, à l’égal de la fin de l’histoire ou du travail, comme une chimère intellectuelle. Rien ne serait cependant plus dangereux que de tenir cette embellie pour définitive. Les séquelles du krach perdurent avec la multiplication des bulles spéculatives favorisées par les politiques monétaires accommodantes (Wall Street a bondi de 46 % en un an) ainsi que l’accumulation de 230 000 milliards de dollars de dettes publiques et privées au moment où la hausse des taux d’intérêt s’accélère.
Les risques principaux restent cependant sociaux, politiques et stratégiques. Les inégalités se sont emballées avec la crise : 42 personnes détiennent en 2017 une fortune équivalente à celle des 3,7 milliards d’hommes les plus pauvres ; un travailleur sur huit est en situation de pauvreté aux États-Unis et en Europe du Sud ; le chômage des jeunes reste très élevé (18 % contre 8,7 % en moyenne dans la zone euro) ; l’espérance de vie des plus diplômés dépasse de plus de six ans celle de la moyenne de la population. Cette divergence constitue la première cause du populisme qui déstabilise les démocraties. Simultanément, les tensions internationales s’exacerbent, tant sur le plan commercial et monétaire que sur le plan militaire où se déroule une nouvelle course aux armements, notamment dans l’espace et le cybermonde.
En un quart de siècle, la mondialisation a augmenté la richesse des nations de 66 % et permis à plus de 1,5 milliard d’hommes de sortir de la grande pauvreté. Mais les forces de divergence et de fragmentation ont désormais pris le pas sur la dynamique de l’intégration. L’universalisation du capitalisme sape les classes moyennes qui constituent la base politique et sociologique des démocraties. Les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle bouleversent tous les secteurs d’activité et les emplois. La fin des idéologies débouche sur le renouveau des passions nationales et religieuses et sur la montée aux extrêmes de la violence. Les risques systémiques liés à la finance, au climat, au cybermonde, aux pandémies sont amplifiés par le démantèlement des institutions multilatérales voulu par Donald Trump – avec pour symbole le retrait de l’accord de Paris de décembre 2015.
L’antidote à ce mouvement de polarisation que la reprise amplifie est la croissance inclusive, qui consiste en une transformation du rythme, de la répartition et de la qualité des richesses produites. Dans la société industrielle, l’intégration s’effectuait par les revenus et la redistribution de l’État-providence. Dans la société de la connaissance, elle ne peut ignorer la question des revenus mais elle se joue plus encore en termes d’accès à l’emploi qualifié, de réduction de la pauvreté, de chances offertes aux plus défavorisés, de lutte contre les discriminations, de qualité de l’environnement et du cadre de vie.
La croissance inclusive et soutenable constitue un objectif réaliste. Elle est une condition à la survie des démocraties comme à la coexistence des 11,5 milliards d’hommes qui se partageront la planète au siècle prochain. Mais elle n’est pas donnée. Son déploiement passe par la mobilisation des trois formes de capital : humaine, financière et environnementale.
Dans une économie de la connaissance et de services à haute valeur ajoutée, le capital humain est décisif. L’éducation constitue la première réponse à la révolution numérique comme au risque de déclassement du fait de la transformation des emplois et des entreprises, des bouleversements des cadres sociaux et des modes de vie. Éducation et formation devront être radicalement repensées pour accompagner les individus au long de leur vie avec pour objectif de leur permettre d’accéder à l’emploi productif. Le capital naturel doit être protégé et restauré pour assurer une croissance soutenable.
La transition écologique, par ailleurs, ne réussira que si elle mobilise les mécanismes de marché : compensation pour l’entretien des biens communs, paiement des coûts liés à la pollution (prix du carbone), incitation aux investissements écologiques.
La croissance inclusive constitue le prochain horizon du capitalisme. Elle implique un nouveau contrat social au sein des nations, fondé sur le renforcement des compétences des individus.
(Chronique parue dans Le Figaro du 05 février 2018)