Le XXIe siècle sera chinois et 2017 restera comme l’année du passage de témoin du leadership de Washington à Pékin.
Le XXe siècle fut américain. Les États-Unis firent la décision en 1918, 1945, 1989, assurant la victoire de la démocratie à l’issue des trois grandes guerres conduites au nom des idéologies. Après 1945, ils réassurèrent la stabilité du système international et du capitalisme. Pour toutes ces raisons, ils s’imposèrent comme la nation indispensable.
Donald Trump a changé la donne, transformant le déclin relatif de l’Amérique depuis le début du XXIe siècle, sous l’effet conjugué de la mondialisation, des guerres perdues d’Afghanistan et d’Irak et du krach de 2008, en déclin absolu. Un an après sa prise de fonctions, il confirme que le populisme accroît les maux qu’il dénonce : paralysie des institutions, inégalités, désintégration de la classe moyenne, risques sécuritaires. La preuve que la démagogie n’est pas compatible avec l’exercice du pouvoir et qu’il faut choisir entre tweeter et présider.
L’incapacité à nouer des compromis avec le Congrès et la multiplication des postes non pourvus dans l’administration ont bloqué les réformes, à l’exception de celle de la fiscalité. Sont programmées des baisses d’impôts de 150 milliards de dollars par an. Le gain pour la croissance devrait être limité à 0,3 %, et non pas 2 % comme annoncé, mais au prix de l’aggravation du déficit budgétaire de 100 milliards de dollars par an, de la relance des bulles spéculatives et d’une nouvelle hausse des inégalités.
Surtout, le soft power qui fondait le leadership des États-Unis est en voie de démantèlement. Le tournant protectionniste et la sortie de l’accord de Paris sur le climat n’ont pas comblé le déficit de productivité des États-Unis ni enrayé la polarisation du marché du travail et de la société, qui est avant tout le produit de la révolution numérique et de l’économie de bulle. Ils laissent en revanche le champ libre à la Chine, sur le plan commercial, avec la zone de libre-échange asiatique et les nouvelles routes de la soie, comme dans le domaine de l’économie de l’environnement.
La renationalisation de la stratégie de sécurité, qui donne la priorité à la fermeture du territoire américain, à la sécurité économique assimilée au protectionnisme, à la force militaire, avec un budget porté à 700 milliards de dollars par an, aux coalitions ad hoc plutôt qu’aux alliances, déstabilise les relais d’influence des États-Unis. La garantie de sécurité américaine, fondée sur l’élargissement de la dissuasion nucléaire, est réduite à néant par l’imprévisibilité de Donald Trump et son refus de reprendre à son compte le principe de solidarité qui gouverne tant les traités stratégiques que l’unité de l’Occident.
Le principe même de la démocratie se trouve déconsidéré. Le rêve américain était indissociable d’une nation fondée autour de la liberté politique et de l’égalité des conditions. Donald Trump rompt avec cet héritage pour n’assumer que la part d’ombre de la démocratie : l’autoritarisme et la démagogie de très court terme ; l’enfermement identitaire et la décohésion sociale sous la pression d’une guerre entre les races ; le culte de la violence entretenu par la prolifération de plus de 300 millions d’armes à feu.
Si la vitalité de l’économie et de la société américaine demeure incomparable, les dommages infligés par Donald Trump au leadership des Etats-Unis sont irréversibles. Le XXIe siècle sera donc chinois, et 2017 restera comme l’année du passage de témoin de Washington à Pékin, qui déploie à marche forcée, de l’Asie à l’Amérique latine en passant par l’Afrique, un sharp power favorisant l’exportation du modèle chinois.
Pour les démocraties, trois leçons en découlent. Tout d’abord, il est impératif, afin d’éviter sa contagion délétère, de traiter les causes profondes du populisme par une croissance inclusive, par l’amélioration de l’éducation, par le désarmement des passions identitaires, par le contrôle des migrations, par la lutte contre toutes les formes de violence. Ensuite, il faut se préparer à vivre sans les États-Unis, qui ne constituent plus une réassurance mais un multiplicateur de risques. Enfin, il est indispensable de réinvestir dans la sécurité. De ce point de vue, l’année 2018 sera décisive pour la réforme de l’Union, qui doit, tout en négociant le Brexit et alors même que l’Allemagne vacille, se doter d’une capacité de hard power pour contrebalancer l’effondrement du soft power et du leadership des États-Unis.
(Chronique parue dans Le Point du 04 janvier 2017)