Les conditions politiques et psychologiques du redressement sont réunies. Mais l’embellie reste fragile et nos performances bien trop basses.
Pour la première fois depuis le début du XXIe siècle, la France, en 2017, finit l’année mieux qu’elle ne l’a commencée. Au terme du quinquennat naufragé de François Hollande, notre pays était devenu l’homme malade et la risée du monde développé, cumulant stagnation économique, chômage de masse, perte de contrôle des finances publiques, paupérisation des Français, décomposition de la nation, dégradation de la sécurité intérieure et extérieure, marginalisation en Europe comme dans le monde. Tous les facteurs qui font le populisme se trouvaient réunis – du déclassement des citoyens et de la nation au désarroi identitaire en passant par la menace islamiste –, justifiant les craintes qui érigeait la France, après le Royaume-Uni et les États-Unis, en prochaine victime des démagogues. La victoire d’Emmanuel Macron aux élections présidentielle et législatives a renversé la donne. La reprise est enfin présente, caractérisée par une croissance de 1,8 % et quelque 270 000 créations d’emplois qui ont ramené le chômage à 9,7 %. La réforme du marché du travail et de l’éducation comme le début de normalisation de la fiscalité ont engagé la modernisation du modèle économique et social.
Sur le plan politique, la dignité de la présidence de la République a été restaurée. La France a effectué son grand retour sur la scène internationale, en devenant la principale force de proposition pour la relance de l’Union européenne et de la zone euro, en s’affirmant comme le héraut du multilatéralisme face aux foucades irresponsables de Donald Trump et en redevenant un médiateur utile dans le Golfe – du Liban à l’Iran en passant par le Qatar. En bref, les Français sont de nouveau fiers d’eux. L’image de la France, dévalorisée sous François Hollande, s’est renversée pour devenir très positive. Et ce d’autant qu’au même moment le leadership des Etats-Unis est démantelé par Donald Trump, le Royaume-Uni de Theresa May bascule dans la nuit du Brexit, l’Allemagne d’Angela Merkel peine à former un gouvernement, l’Italie affronte des élections à haut risque, l’Espagne voit sa sortie de crise compromise par le psychodrame catalan.
Les difficultés des autres démocraties invitent cependant à garder la tête froide. Le talent d’Emmanuel Macron a permis de réunir les conditions politiques et psychologiques du redressement de la France. Mais ce redressement est très loin d’être réalisé. L’embellie de notre économie reste modeste et précaire. Les performances de la France sont très éloignées de celles de l’Allemagne et de la zone euro (croissance de 2,3 %, taux de chômage de 8,7 %, excédent commercial de plus de 250 milliards d’euros, déficit et dettes publics ramenés à 1,1 et 87 % du PIB). La croissance de long terme demeure bridée à 1 % en raison de la faiblesse de la compétitivité dont témoigne le déficit de plus de 62 milliards de la balance commerciale et de la dérive persistante des finances publiques : le déficit, prévu à 2,9 % du PIB, sera ainsi le plus élevé de la zone euro en 2018, année durant laquelle notre pays devra emprunter 195 milliards d’euros pour financer une dette qui culmine à 97 % du PIB. Par ailleurs, le rebond de la croissance en France résulte avant tout de l’amélioration de l’environnement extérieur à partir de la fin de 2015 qui tend aujourd’hui à se durcir sous l’effet de la hausse des prix du pétrole, des taux et de l’euro face au dollar.
Politiquement parlant, les Français font crédit à Emmanuel Macron et entendent lui donner toute ses chances pour moderniser le pays. Mais le scepticisme perdure sur son succès et la division profonde de la nation, de ses citoyens et de ses territoires sur le sens et le contenu des réformes – pleinement mise en évidence par le premier tour de l’élection présidentielle – freine et entrave leur mise en œuvre. Ainsi la dépense publique, qui est au cœur du mal français, poursuivra sa course folle en 2018, faute de véritable stratégie pour qu’elle soit réduite. Les fonctions régaliennes de l’État demeurent sacrifiées, ce qui fait planer un doute sérieux sur la capacité à gérer les crises économiques et les chocs stratégiques. La centralisation sans précédent du pouvoir expose le président de la République et pourrait rapidement compromettre les réformes, faute d’implication de la société civile et d’adhésion des Frances périphériques.
L’année 2018 sera donc décisive pour la modernisation de la France comme pour la relance de l’Europe. Pour la France, la dynamique des réformes se joue autour de la reconfiguration de l’État et de la diminution de la dépense publique : une nouvelle fois différées cette année, elles doivent impérativement intervenir en 2019, à moins de vouer à un échec tragique le redressement de notre pays. Pour l’Europe, de même, une fenêtre unique s’ouvrira entre la formation du nouveau gouvernement allemand et le scrutin italien, d’une part, l’élection européenne de 2019, d’autre part. Ce moment historique ne doit pas être perdu. Il dépendra largement de la capacité d’Emmanuel Macron à passer du magistère de la parole au leadership dans l’action. Son mérite reste d’avoir rétabli une espérance. André Malraux soulignait qu’ « un monde sans espoir est irrespirable ». La France et l’Europe ne sont pas encore sauvées ; mais elles respirent de nouveau.
(Chronique parue dans Le Point du 21 décembre 2017)