Son cours est passé à 14 600 dollars en décembre 2017. Focus sur la plus ancienne et la plus valorisée des cryptomonnaies.
Le bitcoin est la plus ancienne et la plus valorisée des crypto-monnaies. Il a été créé en 2008 par un ou plusieurs individus rassemblés sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto qui conservent la propriété d’un million de bitcoins. Les principes fondamentaux qui ont présidé à sa fondation sont l’anonymat des transactions, la décentralisation du contrôle, la convertibilité en dollars ou en euros. Le bitcoin est une base de données gérée par la technologie de la blockchain, qui assure sécurité et certification des transactions en les reliant entre elles de manière totalement indépendante et décentralisée, en dehors de toute régulation publique : une communauté de 10 000 développeurs libère et vérifie de nombreuses fois par jour les données cryptées en contrepartie d’une rémunération versée en bitcoins.
Enfin, le nombre de bitcoins a été d’emblée limité à 21 millions d’ici à 2110, dont 17 millions ont été émis.
Le bitcoin ne présente pas toutes les fonctions d’une monnaie, car il n’existe ni pièces, ni billet, ni crédit. Mais il en possède certains des attributs fondamentaux : le règlement de transactions sur plus de 100 000 sites Internet ; la réserve et le transfert de valeur à coûts très réduits ; le rôle d’instrument financier qui se développe avec les « Initial Coin Offerings » qui permettent à une entreprise de créer sa propre monnaie virtuelle et de lever des fonds en la cédant aux investisseurs. Le bitcoin repose donc sur la confiance de ses utilisateurs, garantie par les algorithmes en lieu et place des États pour les monnaies des banques centrales, aujourd’hui déconnectées des métaux précieux.
Le marché du bitcoin progresse de manière fulgurante. Il représente plus de 180 milliards de dollars sur les 350 milliards de valeur que cumulent les quelque 1 300 cryptomonnaies et compte des millions d’utilisateurs.
Les levées de capitaux en monnaies virtuelles dépasseront 3 milliard de dollars en 2017. Les doutes créés par le krach de 2008 sur la valeur de la monnaie émise par les banques centrales, l’attrait de l’innovation, le déséquilibre entre une offre réduite et une demande en forte expansion, l’intérêt qu’offre l’anonymat des transactions pour l’évasion fiscale et les activités criminelles ont déclenché une formidable spéculation. Le cours est passé de 0,01 dollar à sa création en 2010 à 1 000 dollars au début de cette année avant de franchir le cap des 14 600 dollars en décembre 2017. Et certaines « Initial Coin Offerings » relèvent du schéma de Ponzi.
Une violente correction est donc inévitable ; seul son moment reste inconnu et avec lui ses conséquences : le bitcoin, pour l’heure, n’emporte pas de risque systémique dès lors qu’il reste limité à 0,2 % du PIB mondial.
L’intérêt des cryptomonnaies ne peut cependant être réduit à l’éclatement programmé de la bulle spéculative sur le bitcoin. D’un côté, elles offrent une alternative à la monnaie des banques centrales dont la crédibilité est affectée par la surexpansion de leur bilan (40 % du PIB aux États-Unis et dans la zone euro) comme au scandaleux privilège du dollar qui fonde l’extraterritorialité du droit des États-Unis tout en leur permettant, selon la formule de Jacques Rueff, d’accumuler « les déficits sans pleurs ». De l’autre, elles répondent à des besoins réels : rapidité et baisse du coût des transactions ; disparition progressive des paiements en liquide expérimentée en Scandinavie ; montée en puissance des actifs intangibles qui atteignent 14 % de la valeur ajoutée brute aux États-Unis et au Royaume-Uni ; inclusion des populations des émergents dans l’économie marchande.
La percée de la technologie de la blockchain dans les métiers de la finance – comme du droit – est inéluctable.
Le bitcoin renvoie moins à la folle spéculation sur les tulipes dans la Hollande du XVIIe siècle qu’à la banqueroute de John Law en 1720 qui sanctionna l’envolée des billets de la Banque royale et des actions de la Compagnie des Indes – l’expérimentation calamiteuse du billet de banque et des actions n’impliquant ni la négation de leur utilité économique ni leur disparition définitive, bien au contraire…
Les risques que présentent les crypto-monnaies sont liés à la fragilité des échanges – illustrées par plusieurs cas de fraudes avérées, aux enjeux de sécurité qui découlent de leur utilisation par les organisations terroristes ou criminelles, à leur faible liquidité, à l’absence d’architecture de marché et au vide de régulation. Les cryptomonnaies marquent une nouvelle étape dans la perte par les États du monopole qu’il détenait sur les fonctions régaliennes. Après la justice avec l’arbitrage, la sécurité avec la multiplication et la privatisation des acteurs stratégiques, la monnaie échappe à leur contrôle exclusif, ce qui ne signifie pas qu’elle puisse s’émanciper totalement d’eux.
(Chronique parue dans Le Figaro du 11 décembre 2017)