Le meilleur antidote au populisme, ce sont la communauté des citoyens au sein des nations et la coopération des nations au sein de l’Union.
Le plus grand péril qui pèse sur les démocraties ne réside pas dans les menaces extérieures mais dans leur délitement intérieur sous la pression des passions populistes. Le populisme désigne les mouvements protestataires, conduits par des chefs charismatiques, qui mettent à profit les troubles créés chez les nations libres et leurs citoyens par les grands bouleversements historiques pour en appeler à un pouvoir autoritaire fondé sur l’exaltation des sentiments identitaires. Leur forme et leur doctrine peuvent être très diverses, réconciliant l’extrémisme de droite et de gauche par la fusion des passions sociales, raciales et nationales.
Dans l’entre-deux-guerres, les séquelles du premier conflit mondial puis les ravages de la grande dépression engendrèrent le fascisme et le nazisme. Aujourd’hui, la déstabilisation des classes moyennes par la mondialisation et la révolution numérique, les enchaînements déflationnistes provoqués par le krach de 2008, le désarroi identitaire, les risques sécuritaires liés au djihadisme et aux démocratures provoquent une nouvelle vague populiste.
En 2016, le vote du Brexit puis l’élection de Donald Trump ont ébranlé la plus ancienne et la plus puissante des démocraties. En 2017, l’accession inattendue d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française, venant après les échecs de Norbert Hofer en Autriche et de Geert Wilders aux Pays-Bas, a été analysée comme un tournant amorçant le reflux. Si, fort heureusement, le retournement de l’image de la France auprès des dirigeants mondiaux et des marchés perdure, force est de constater que le choc populiste n’est nullement fini en dépit des résultats désastreux des démagogues qui accèdent au pouvoir.
Le populisme, loin d’avoir été éradiqué, continue à se développer en Europe. À l’ouest, les partis extrémistes prospèrent, y compris dans le monde germanique où les tabous tombent comme le montre la percée de l’AfD en Allemagne et du FPÖ en Autriche, principal partenaire de Sebastian Kurz dans le futur gouvernement de coalition. L’avenir de l’Union et de l’euro reste par ailleurs suspendu aux élections législatives italiennes de février 2018, prises sous le feu croisé du mouvement Cinque Stelle de Beppe Grillo et de la Ligue du Nord. À l’est, moins de trente ans après la chute du mur de Berlin, la démocratie illibérale de Viktor Orban fait des émules et fédère désormais les pays du groupe de Visegrad – constitué à l’origine pour accélérer la convergence avec l’Union – : la Pologne de Jaroslaw Kaczynski, la Slovaquie de Robert Fico et la République tchèque d’Andrej Babis. Ultime avatar du populisme, le séparatisme fait rage en Catalogne, provoquant un séisme politique et économique avec le départ de plus de 1 300 entreprises, comme en Italie où la Ligue du Nord vient de remporter un éclatant succès avec les référendums sur l’autonomie de la Vénétie (57 % de participation et 98 % de oui) et de la Lombardie (38 % de participation et 95 % de oui).
Les populismes se distinguent, sur notre continent, par une orientation résolument hostile à l’intégration européenne, qui a été alimentée par la crise de l’euro, par la vague des migrants et par la multiplication des attentats islamistes. Le sécessionnisme s’organise pour sa part autour de métropoles riches et ancrées dans la mondialisation qui contestent la solidarité financière avec le reste de la nation, à l’image de l’Italie du Nord et de la Catalogne qui transfèrent respectivement 70 et 17 milliards vers le reste de l’Italie et de l’Espagne. Le danger populiste n’est pas derrière nous mais devant nous. Le risque est très réel que la déconfiture de ses premiers dirigeants débouche sur une course à l’extrémisme. Il n’a donc jamais été plus urgent de le combattre. Or sa condamnation de principe au nom des valeurs se révèle contre-productive car elle nourrit la dénonciation du système politique et des élites. Il faut avant tout s’attaquer à ses causes concrètes : le chômage, l’exclusion, les inégalités, les lacunes de l’éducation et de la santé, la désintégration de certains territoires, l’inapplication de la règle de droit, la contagion de la violence.
« Les démagogues, écrivait Ésope, font d’autant mieux leurs affaires qu’ils ont jeté leur pays dans la discorde. » Le meilleur antidote au populisme, ce sont la communauté des citoyens au sein des nations et la coopération des nations au sein de l’Union. Mais elles ne sont jamais données ; elles doivent sans cesse être réinventées.
L’Union européenne demeure un instrument essentiel pour la prospérité et pour la paix. Mais elle doit être réorientée autour de six priorités. La stabilisation de sa configuration en mettant fin aux pseudo-négociations d’adhésion avec la démocrature turque. Le renforcement de la zone euro par la création d’un fonds de stabilisation et l’achèvement de l’union bancaire. L’affirmation de la souveraineté européenne au plan commercial, fiscal et environnemental. La convergence et la portabilité des droits sociaux.
La régulation effective de l’immigration et du droit d’asile. La création d’une Union pour la sécurité dont la première mission doit être le contrôle des frontières. Au sein de chaque nation, il est par ailleurs indispensable de lutter contre la polarisation des emplois, des trajectoires individuelles et des territoires. En privilégiant une croissance inclusive. En investissant massivement dans l’éducation et la formation. En soutenant l’innovation. En restaurant la sécurité. En modernisant les États.
(Chronique parue dans Le Figaro du 30 octobre 2017)