L’automobile ne va pas disparaître mais se réinventer.
L’automobile fut au cœur de la société industrielle. Elle joua un rôle clé dans la naissance des grandes entreprises, de la rationalisation du travail et du lien salarial. Elle inventa, avec Ford, production et consommation de masse. Elle est indissociable de l’émergence des classes moyennes. Elle a façonné les modes de vie, l’organisation sociale et la structuration de l’espace depuis le début du XXe siècle.
La puissance de l’industrie automobile reste exceptionnelle. Avec 91 millions de véhicules neufs vendus dans le monde, elle génère plus de 2 000 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 50 millions d’emplois. En France, elle représente 16 % de la production manufacturière et compte 2,1 millions de postes de travail sur 16 millions d’emplois dans le secteur privé.
Aujourd’hui, l’industrie automobile affronte des défis sans précédent. La mondialisation fait basculer le marché automobile à l’Est et au Sud : la Chine est devenue le premier marché, avec 21,3 millions de véhicules, et pourrait atteindre 40 % des ventes mondiales en 2030. Par ailleurs, dès la moitié du XXIe siècle, plus de 60 % des hommes vivront dans des villes dont le niveau de congestion et de pollution devient insupportable. L’automobile est également rattrapée par l’ère des données et la révolution digitale : dans la chaîne de valeur, le hardware ne devrait plus compter que pour 40 %, contre 40 % pour le software et 20 % pour les services. Enfin, le lien de confiance avec les consommateurs a été ébranlé par la multiplication des scandales, notamment le « dieselgate » né chez les constructeurs allemands – réputés les meilleurs.
D’aucuns en concluent à la fin de l’automobile. À tort car la demande de mobilité et de connexion croît plus vite que le nombre des hommes. L’automobile reste sans concurrent véritable pour se déplacer dans les espaces non urbanisés comme pour desservir le dernier kilomètre. L’automobile ne va donc pas disparaître mais se réinventer. La voiture sera électrique, autonome et connectée. Les usages feront une large place au partage. La propriété et le traitement des données seront déterminants. Ceci implique une profonde transformation des constructeurs, mais aussi des consommateurs et des régulateurs.
Sous la pression des autorités publiques et des consommateurs, l’industrie automobile a acté la fin du diesel et le basculement vers l’électrique, même si le moteur à combustion sera longtemps présent. États et villes multiplient les annonces. La France entend proscrire le moteur à essence à compter de 2040. Paris a décidé l’interdiction du diesel à partir de 2025 et l’essence à partir de 2030. La Chine s’est fixé pour objectif de compter 20 % de voitures disposant d’une alternative à l’essence en 2025, mais aussi d’assurer la production de 80 % des voitures électriques vendues dans le pays par des constructeurs nationaux.
Le parc mondial compte 2 millions de voitures électriques sur 1 milliard de véhicules en circulation. Elles seront 70 millions en 2025 et 530 millions en 2040. Ainsi en 2017 seront vendus un million de véhicules électriques, dont 335 000 en Chine. Le développement des voitures hybrides sera plus spectaculaire encore, pour atteindre 50 à 60 % du marché en 2030.
D’où l’apparition de nouveaux acteurs, à l’image de Tesla – voire de Google -, mais surtout un bouleversement de la stratégie des constructeurs traditionnels. En Allemagne, Volkswagen, soucieux de faire oublier le « dieselgate », s’engage à produire 50 modèles 100 % électriques et 30 hybrides rechargeables d’ici à 2030, tandis que BMW table sur 25 nouvelles voitures électrifiées, dont 12 totalement électriques. Volvo ne produira que des voitures électriques ou hybrides à partir de 2019. Le leader du marché de la voiture électrique demeure pour l’heure l’Alliance Renault-Nissan qui se mobilise pour défendre son avance. Renault a construit son plan stratégique autour d’une diminution de moitié de la production de diesel, tandis que seront mises sur le marché 8 voitures 100 % électriques et 12 hybrides sur 21 nouveaux modèles d’ici à 2022.
Jusqu’à présent, États et métropoles ont fort peu investi dans les infrastructures indispensables au véhicule électrique et autonome : « smart cities », routes intelligentes, bornes de recharge, reconfiguration du réseau électrique, cadre juridique pour la collecte et le traitement des données, régime de responsabilité du véhicule autonome. Les freins au développement de la voiture électrique et autonome ne sont plus aujourd’hui dans l’industrie mais du côté des autorités publiques. Il est vital de les lever si l’Europe ne veut pas manquer la révolution de la mobilité après s’être laissé marginaliser dans l’économie numérique alors qu’elle dominait l’industrie des télécommunications en 2000.
(Chronique parue dans Le Figaro du 16 octobre 2017)