Emmanuel Macron doit réinvestir dans la défense sous peine d’être un président jupitérien sans foudre.
La tragédie du quinquennat de François Hollande découle du divorce permanent entre la parole et les actes. Et ce y compris dans le domaine de la défense, où il n’a cessé d’affirmer que la France était en guerre tout en conservant les organisations et les moyens du temps de paix. Emmanuel Macron, qui a mis en scène son rôle de chef des armées, se trouve ainsi confronté à des choix décisifs. À Versailles, il a déclaré vouloir construire la paix et indiqué : « Partout, nous devons agir pour protéger nos intérêts et d’abord notre sécurité. » Il s’est engagé à consacrer à la défense 2 % du PIB en 2025, soit 50 milliards d’euros. Simultanément, il a annoncé la création d’un service national universel, soit une charge de 12 à 17 milliards en investissements et de 2,5 à 3 milliards en fonctionnement. Le tout sur fond d’une sortie de tout contrôle des finances publiques avec un déficit de 3,2 % du PIB et une dette qui culmine à 98,9 % du PIB.
Dans un monde imprévisible et dangereux, la France est de fait très exposée. Par ses valeurs, son histoire, ses engagements, sa population, elle est une cible prioritaire des djihadistes. Elle se situe aussi en première ligne face aux démocratures : la Russie, qui a dynamité le système de sécurité du continent, poursuit son intervention en Ukraine, tandis que la Turquie joue de ses émigrés et de la crise des migrants pour soumettre l’Union à un chantage incessant. Enfin, notre pays doit faire face aux nouvelles guerres de l’information qui, des cyberattaques aux fake news en passant par la manipulation des données, déstabilisent les citoyens, les entreprises, la vie démocratique.
Face à ces menaces, la solidarité de l’Occident, adossée à la garantie de sécurité américaine, ne fonctionne plus. Le choc populiste qui a balayé en 2016 le Royaume-Uni avec le Brexit puis touché les États-Unis prive l’Union du tiers de son potentiel militaire et sape le leadership américain. L’Amérique de Donald Trump n’est plus la nation indispensable, mais un facteur de déstabilisation de l’ordre mondial, de l’Otan et de l’Europe. Trois défis majeurs se présentent dès lors devant Emmanuel Macron.
Le premier découle du décalage croissant entre le surengagement des armées et leurs moyens. La France déploie 30 000 hommes en opérations, dont 7 000 sur le territoire national, soit une activité supérieure de 30 % aux contrats opérationnels fixés par la loi de programmation militaire. Les munitions et les rechanges manquent. Le soutien et le service de santé montrent d’inquiétantes défaillances. L’entraînement a chuté de moitié. Des lacunes majeures de capacités sont constatées pour l’aviation de transport et les ravitailleurs, les hélicoptères, les drones, les missiles et les frégates.
Le deuxième concerne la dissuasion nucléaire. L’arme atomique effectue un retour en force en raison des menaces émanant de la Russie comme de la Corée du Nord, qui vient de tester un missile balistique intercontinental. La force de dissuasion de la France doit donc impérativement être maintenue dans ses deux composantes, maritime et aérienne. Mais elle devra être modernisée à partir de 2020, ce qui implique d’augmenter son budget, aujourd’hui réduit à 3,5 milliards d’euros, entre 5,5 et 6 milliards durant une vingtaine d’années.
Le troisième enjeu touche à l’Europe, qui n’a d’autre choix que de réinvestir dans sa sécurité. La France représente pour l’Union un atout unique, car elle est seule à disposer d’une autonomie de décision, d’un modèle d’armée complet et d’une force de dissuasion. À la condition que notre appareil de défense reste opérationnel dans toutes ses dimensions : les armées, le renseignement, l’industrie et la recherche.
Napoléon rappelait qu’« il n’y a qu’un secret pour mener le monde, c’est d’être fort parce qu’il n’y a dans la force ni erreur ni illusion : c’est le vrai mis à nu ». S’il veut éviter de se voir réduit à un président jupitérien sans foudre, utilisant les mots de la puissance sans disposer de ses moyens, Emmanuel Macron doit réinvestir dès 2018 dans la défense, afin qu’elle ne serve plus de variable d’ajustement pour le rééquilibrage des comptes publics.
L’urgence commande de rétablir la cohérence entre les objectifs, les missions et les moyens. Une revue stratégique doit, d’ici à l’automne, déterminer les menaces, fixer nos ambitions, définir le format des forces et de la base industrielle. Mais cette revue comme l’objectif de consacrer 2 % du PIB à la défense en 2025 seront privés d’effet si le gel de 2,7 milliards de crédits qui met la défense en cessation de paiement et la réintégration du surcoût des opérations extérieures ne sont pas annulés. Par ailleurs, le budget pour 2018 devrait être porté de 32,7 à 35 milliards d’euros – hors service national. Cela est indispensable pour appliquer les décisions prises en 2016 et engager la reconstitution des stocks de munitions, la mise à niveau de la maintenance, la modernisation des matériels, la constitution d’une force cybernétique et la robotisation du champ de bataille.
Comme en 1958, la redéfinition de la stratégie de sécurité de la France est indissociable du redressement de son économie, de la refondation du contrat social et de la modernisation de l’État. Angela Merkel a affirmé que « les temps sont révolus où nous, Européens, pouvions nous reposer totalement sur d’autres ; nous devons lutter nous-mêmes en tant qu’Européens pour notre avenir et notre destin ». La France, pas plus que l’Europe, ne saurait s’en remettre à d’autres pour assurer sa sécurité, défendre sa liberté et décider de son destin
(Chronique parue dans Le Point du 13 juillet 2017)