Le charisme de Jean-Luc Mélenchon et ses qualités de tribun masquent un projet révolutionnaire. Celui qui a mené la Bolivie à la ruine.
Jean-Luc Mélenchon a éclaboussé la campagne présidentielle 2017 de son talent, excellant aussi bien dans les meetings et dans les débats télévisés que sur les réseaux sociaux. Son charisme et ses qualités de tribun masquent cependant un projet authentiquement révolutionnaire : collectivisation de l’économie avec la nationalisation des secteurs de l’énergie et des transports, l’instauration d’un salaire maximum et l’imposition à 100 % à partir de 400 000 euros ; encadrement de la société par l’État avec la forte hausse des dépenses publiques, le recrutement de 200 000 fonctionnaires, un droit à l’emploi et au logement au sein du secteur public ; processus constituant pour une VIe République ; fin du pacte de stabilité et du statut d’indépendance de la BCE, impliquant l’éclatement de l’euro ; sortie du FMI, de la Banque mondiale et de l’Otan.
En bref, Jean-Luc Mélenchon exhume le spectre du communisme qui hante la gauche française, en assumant pleinement le recours à la violence en tant que « déterminant politique des luttes ». Sous le collector des utopies de la gauche radicale pointe le modèle vénézuélien de socialisme du XXIe siècle, symbolisé par la volonté d’adhérer à l’Alliance bolivarienne. La fascination pour Hugo Chavez va jusqu’à envisager d’imiter sa fameuse émission « Aló presidente » du dimanche matin en créant une chaîne présidentielle interactive.
Pourtant, les faits sont têtus. Rien n’éclaire mieux les conséquences des propositions de Jean-Luc Mélenchon que la situation du Venezuela chaviste qui a appliqué ces mêmes recettes : nationalisations et expropriations des entreprises privées ; confiscation des richesses par l’État pour financer les missions sociales ; enrégimentement de la société par les comités d’approvisionnement et les milices ; projet de constituante pour tenter de sauver le régime ; rupture avec l’Occident, les États-Unis et les institutions multilatérales.
Le bilan de la révolution bolivarienne est édifiant. Au plan économique, la ruine du pays qui possède les premières réserves pétrolières du monde devant l’Arabie saoudite avec une récession de 10 % par an en 2016 et 2017 et une inflation qui culmine à 1 000 % par an. Au plan financier, une situation de défaut et des réserves de changes réduites à 10 milliards de dollars, soit moins d’un mois d’importations. Au plan social, une famine endémique, l’absence des produits de première nécessité, les coupures chroniques d’eau et d’électricité, l’arrêt des soins médicaux et la pénurie de médicaments. Au plan civil, l’explosion de la criminalité avec la prise de contrôle des villes par les gangs qui servent de milices au régime et sont responsables de plus de 6 000 homicides par an dans la seule agglomération de Caracas. Au plan humain, un flot d’un million et demi de réfugiés et de boat people fuyant vers le Brésil et la Colombie. Au plan politique, depuis l’annonce d’une nouvelle Constitution, une situation de guerre civile qui a fait une soixantaine de morts et plus de 500 blessés en deux mois tandis que les libertés publiques sont suspendues par l’état d’exception, les manifestants jugés par des tribunaux militaires et les dirigeants de l’opposition systématiquement emprisonnés. Au plan international, l’isolement complet avec l’exclusion de l’Organisation des États américains, la suspension du Mercosur, la prise de distance de la Chine – qui s’apprête à perdre 65 milliards de dollars de prêts impayés – comme de Cuba qui gérait les services de sécurité du régime.
Les bases du redressement existent, car le Venezuela, au-delà de ses exceptionnelles ressources en hydrocarbures, dispose d’immenses richesses naturelles (or, argent, diamants, bauxite), d’un potentiel agricole et touristique exceptionnel, d’une classe moyenne éduquée ainsi que de remarquables élites. Mais il n’est pas de solution possible sans un changement drastique de modèle économique et social, associé à une restructuration financière et une aide internationale. Donc sans le départ du président Maduro et la fin du chavisme.
La tragédie vénézuélienne renvoie moins à la malédiction des matières premières qu’à une idéologie dévastatrice pour l’économie, les libertés et l’humanité. Le stade suprême de la révolution bolivarienne dont se réclame Jean-Luc Mélenchon, c’est la dictature militaire, la paupérisation absolue des masses, la guerre de tous contre tous.
Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature, commentait en 2010 la chronique de la ruine annoncée du Venezuela par Hugo Chavez dans les termes suivants : « L’existence d’un caudillo charismatique suppose toujours l’abdication de la volonté, du libre arbitre, de l’esprit créateur et de la rationalité de tout un peuple devant un individu reconnu comme un être supérieur, mieux doté pour décider du bien et du mal pour un pays tout entier en matière économique, politique, culturelle, sociale, scientifique. Est-ce cela que nous voulons ? Qu’un nouveau Chavez vienne nous libérer de Chavez ? » Notre pays a besoin de tout sauf d’un nouveau Chavez.
(Chronique parue dans Le Figaro du 05 juin 2017)