En élisant Macron, les Français ont pris le risque d’une rupture pour saisir la dernière chance de redresser la France de manière démocratique.
Emmanuel Macron applique à la politique la loi de la finance selon laquelle le gagnant prend tout. Dans l’esprit, cela se traduit par un retour aux sources de la Ve République, avec la concentration de toutes les décisions à l’Élysée, la restauration des fonctions régaliennes de l’État et le retour en force de l’énarchie. Dans la pratique, cela débouche sur la prise de contrôle de tous les leviers du pouvoir au sein de l’État, de la recherche d’une majorité absolue à l’Assemblée à la mise en place d’un « spoil system » à la française.
Ce pouvoir absolutiste est cohérent avec la volonté des Français. En élisant Macron et en dynamitant les partis et la classe politiques traditionnels, ils ont pris le risque d’une rupture au profit d’une nouvelle génération pour saisir la dernière chance de redresser la France de manière démocratique. Mais la concentration et l’étatisation extrêmes du pouvoir, rendues nécessaires par l’état critique de notre pays, ne sont tolérables par la société que si elles restent provisoires et surtout si elles permettent de réaliser enfin les réformes indispensables.
Le début du quinquennat bénéficie d’une conjoncture favorable. Le climat des affaires s’améliore en France du fait du regain d’activité en Europe et de l’impact tardif du pacte de compétitivité et du CICE. Dans la zone euro, la réduction du risque politique – avec les défaites en chaîne des populistes en Autriche, aux Pays-Bas et en France – va de pair avec des performances en net progrès et la réduction de la divergence entre le Nord et le Sud.
L’élection de Macron ouvre ainsi la voie à une nouvelle donne. Mais l’embellie peut devenir un piège si elle conduit, une nouvelle fois, à occulter ou différer la refondation du modèle français. La victoire de Macron n’a pas plus supprimé le risque France que la lourde défaite de Marine Le Pen ne marque la fin de l’extrême droite. Le retournement de l’image de notre pays est aussi spectaculaire que fragile. Le modèle français demeure insoutenable, qui redistribue 15 % des transferts sociaux mondiaux à une population de 1 % de celle de la planète qui ne génère que 3,5 % de sa production. Le déficit commercial continue à se creuser à hauteur de 56 milliards d’euros par an, soulignant le déclassement de notre appareil productif.
L’attractivité réelle de notre pays en termes d’innovation reste minée par l’instabilité des normes, une fiscalité confiscatoire et la rigidité du marché du travail. La dette publique atteint 96,4 % du PIB et fait l’objet de ventes massives de la part des investisseurs asiatiques, provisoirement remplacés par la BCE. La violence et l’insécurité demeurent endémiques. Le premier tour de la présidentielle a dévoilé une nation fracturée sur le plan sociologique, politique et territorial – 55 % des électeurs se prononçant contre l’économie de marché et l’Europe.
Macron jouera ainsi sa légitimité et le destin de son quinquennat d’ici à la fin de l’année. Et ce autour de trois réformes : marché du travail, finances publiques et sécurité.
La réforme du marché du travail constitue le banc d’essai des « Macronomics » et la clé pour reconstituer une base productive compétitive. L’extension du champ de la négociation dans l’entreprise, la fusion des instances de représentation des salariés et l’encadrement des indemnités prud’homales sont de nature à libérer les embauches. Avec la refonte de la formation professionnelle, la transformation de l’assurance-chômage et le basculement vers un système de retraite par point, se dessine une flexisécurité à la française. Encore convient-il que ces réformes ne soient pas vidées de leur contenu et qu’elles interviennent rapidement, alors que pointe le risque d’un glissement de leur calendrier.
La deuxième urgence concerne les finances publiques, dont la dérive n’est nullement enrayée. Le déficit public pour 2017 est estimé à 3 % mais ne tient pas compte de 12 à 15 milliards de dépenses non financées. Il devrait de nouveau se creuser pour atteindre 3,2 % au minimum en 2018, plaçant la France en dernière position des 19 pays de la zone euro.
L’ultime priorité touche la sécurité. Le terrible attentat de Manchester a rappelé l’intensité de la menace issue du terrorisme. Or, en France, les forces de sécurité sont à la limite de la rupture en raison de l’épuisement des hommes comme du manque et de l’obsolescence de leurs équipements.
Au principe du pari de Blaise Pascal, on trouve un calcul simple : « Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. » Macron n’a rien à perdre et tout à gagner à faire, sans hésiter et sans attendre, le pari de la réforme.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 mai 2017)