Le fil de soie qui tient encore la République repose désormais entre les seules mains des citoyens.
Il n’est pas de liberté sans responsabilité. Les citoyens sont les garants ultimes des institutions démocratiques dans les périodes de crise nationale. Et nul ne peut douter que la France y soit aujourd’hui confrontée. Le premier tour de l’élection présidentielle de 2017 n’a pas seulement confirmé la désintégration du système politique. Il a acté, au terme d’une campagne placée sous le signe du triomphe des émotions sur la raison, la fracture de la nation en populations et en territoires divergents. La communauté des citoyens a éclaté en blocs opposés qui trouvent moins leur cohésion dans l’espoir que dans le ressentiment, l’humiliation et la peur de l’autre.
L’élection présidentielle reste, pour le meilleur et pour le pire, l’âme de notre démocratie. Elle reflète aujourd’hui les divisions de la nation que polarisent la mondialisation, la révolution numérique, la poussée djihadiste et la montée de l’insécurité. Dans la continuité du référendum sur le Brexit et de l’élection présidentielle américaine, deux France sont face à face : la première, intégrée dans l’Europe et la mondialisation, est celle des métropoles et des côtes atlantiques ; la seconde, périphérique et exclue, rassemble les banlieues, le monde rural et les régions désindustrialisées.
Les Français sont à une heure de vérité. Le système politique et les partis dits de gouvernement ont disparu et avec eux le principe d’un front républicain. Le fil de soie qui tient encore la République repose donc entre les seules mains des citoyens. Il leur revient de trancher en choisissant entre le retour vers l’économie administrée ou la modernité, le populisme ou la réforme, l’enfermement dans les frontières nationales ou l’Europe.
Ce choix n’est pas joué par avance. L’élection de 2017 n’est en rien la réédition de celle de 2002. Marine Le Pen a rassemblé 7,7 millions de votes au premier tour, contre 8,7 millions pour Emmanuel Macron, et est arrivée en tête dans 19.000 des 36.000 communes. Les candidats hostiles à l’économie de marché et à l’Europe sont nettement majoritaires. Le populisme est porté dans toutes les démocraties par la crise des classes moyennes, les inégalités et les séquelles du krach financier de 2008, les inquiétudes identitaires, les vagues migratoires et les menaces sécuritaires.
Traiter Marine Le Pen de fasciste n’est ni exact ni utile. Pour autant son projet reste inacceptable par les valeurs sur lesquelles il repose et plus encore par le déclin irréversible de la France qu’il entraînerait. Si le leadership du Front national s’est normalisé en même temps qu’il conquérait un ancrage national, ses principes n’ont pas varié depuis sa fondation et restent guidés par un nationalisme intégral, par la détestation de l’Europe et par la xénophobie.
Sur le plan économique, sa doctrine s’est gauchie pour se fixer sur un socialisme radical : une nouvelle hausse de plus de 100 milliards d’euros des dépenses publiques qui porterait le déficit et la dette à 10 et 150 % du PIB en 2022 ; un protectionnisme dévastateur pour nos entreprises comme pour le pouvoir d’achat ; une sortie de l’euro indissociable d’une dévaluation de 15 à 20 % et d’une relance de l’inflation qui implique un défaut financier de la France, la faillite des banques et la ruine des épargnants. Par ailleurs, le démantèlement de l’euro, la désintégration de l’Union européenne et le retrait de l’Otan annihileraient ce qui reste de puissance et d’influence de la France dans le monde.
Le programme d’Emmanuel Macron gagnerait assurément à être plus ambitieux et plus concret. Il assume cependant son réformisme en proposant une transformation progressive du modèle français. Il est structuré autour des priorités essentielles pour engager le redressement de notre pays : la reconstitution d’une base productive compétitive ; la flexisécurité du travail ; la reconfiguration du système éducatif ; la maîtrise des dépenses publiques ; la définition d’une stratégie globale de sécurité intégrant un effort de réarmement ; la relance de l’Europe autour de la croissance, de la protection des droits sociaux et de la sécurité.
Dans ce moment décisif, nul n’a le droit de se dérober. S’abstenir, voter blanc ou voter nul, c’est voter Marine Le Pen. C’est la voie retenue par le sectarisme d’extrême gauche, aussi prompt à adopter des postures de résistance face aux démocrates qu’à faire le jeu de l’extrême droite. Ce ne peut être la position d’un patriote responsable qui votera sans hésitation pour Emmanuel Macron le 7 mai.
Ce principe de responsabilité des citoyens doit inspirer également Emmanuel Macron. Il lui revient de prendre la mesure de la fonction à laquelle il aspire au moment où la France connaît un des creux vertigineux de son histoire. Il ne dispose d’aucun droit à l’erreur, sauf à écrire la chronique du triomphe annoncé du Front national en 2022. Ni dans son comportement, qui doit bannir l’insoutenable légèreté du soir du premier tour : l’heure n’est pas aux excès et à la jouissance du pouvoir, mais au respect de ses limites et de ses servitudes. Ni dans la volonté de renouveau exprimée par les Français qui exclut le retour aux affaires des responsables de trente-cinq années d’échecs comme des combinaisons d’appareil propres à la IVe République. Ni dans la conduite des réformes indispensables pour renouer avec une croissance inclusive, pour restaurer le plein-emploi, pour endiguer la violence et pour réconcilier l’Europe avec ses citoyens. Ni dans la refondation de la nation et la mobilisation des énergies autour d’un projet collectif qui permette de surmonter les divisions et de remettre la France en prise avec le XXIe siècle.
(Chronique parue dans Le Figaro du 02 mai 2017)