Le scrutin présidentiel du mois prochain confirmera-t-il le réveil d’un pays écartelé entre théocratie et démocratie ?
Un scrutin décisif se profile en Iran. Le 19 mai, Hassan Rohani, si sa candidature est retenue parmi les 1 636 soumises au Conseil des gardiens, se présentera devant quelque 55 millions d’électeurs pour solliciter un second mandat. Sa réélection conforterait la stratégie d’ouverture de l’Iran.
De prime abord, il semble affronter le vote en position de force, après son succès lors des législatives de février 2016. Il a mené à bien les négociations qui ont conduit à l’accord de Vienne du 14 juillet 2015 sur le nucléaire avec six grandes puissances, puis obtenu la levée d’une partie des sanctions internationales. Il a relancé une économie exsangue qui avait vu exploser le chômage touchant le quart de la population active. La croissance a atteint 4,5 % en 2016 et est attendue à 5,2 % en 2017. L’inflation est revenue de 45 à 8,9 %. Le cours du rial, qui avait perdu 70 % de sa valeur, a été stabilisé. Le déficit public progresse à 2,5 % du PIB mais reste soutenable, de même que le déficit courant (0,8 % du PIB) et la dette publique limitée à 40 % du PIB.
Le début de normalisation de la situation de l’Iran va de pair avec la constitution d’un arc chiite qui court du Liban avec le Hezbollah au Yémen avec les milices houthistes, en passant par la Syrie de Bachar el-Assad et l’Irak. L’Iran a ainsi tiré pleinement parti de la configuration créée par la poussée du djihadisme sunnite, du désengagement des Etats-Unis sous Barack Obama et de la percée de la Russie de Vladimir Poutine. Les milices chiites ont joué un rôle déterminant dans la survie des régimes de Bagdad et de Damas, faisant de Téhéran un partenaire obligé de la lutte contre le terrorisme.
Pourtant, la situation de l’Iran est beaucoup plus tendue qu’il n’y paraît. Les conservateurs ne s’y trompent pas, qui mobilisent toutes leurs forces pour mettre en échec Hassan Rohani. Ils ont ainsi acté le principe d’un candidat unique, qui devrait être Ebrahim Raissi, responsable de la vague d’exécutions massives en 1988, à la fin de la guerre avec l’Irak.
Dans la théocratie iranienne, la présidence de la République est un rouage important mais non central du pouvoir, qui reste ultimement entre les mains du Guide suprême, Ali Khamenei. L’élection au suffrage universel direct lui confère cependant un poids particulier, ce tout particulièrement face à la perspective de la succession du Guide suprême et face aux dilemmes d’un régime écartelé entre sa nature théocratique et l’aspiration de la population à la démocratie, entre la participation à un bloc des « démocratures » avec la Russie et la Chine ou la normalisation des relations avec l’Occident.
Au plan économique, la reprise ne va pas sans désillusions. La levée des sanctions n’a été que partielle et la crainte de sanctions américaines tétanise les banques internationales, continuant à bloquer les investissements en Iran. Le dégel des avoirs iraniens n’a concerné qu’une trentaine de milliards de dollars sur un total estimé entre 100 et 140 milliards. Ensuite, la sortie de récession est très récente, avec un taux de chômage de l’ordre de 20 % de la population active. Le produit de la rente pétrolière demeure largement confisqué par l’Etat dans une économie minée par la corruption et la bureaucratie. Au plan stratégique, l’élection de Donald Trump menace la réintégration de l’Iran dans la communauté internationale, offrant de nouvelles armes aux conservateurs. Le 29 janvier, Téhéran a salué la cérémonie d’investiture de Donald Trump avec un tir d’essai d’un missile balistique.
Autour de la réélection de Hassan Rohani, c’est bien le réveil de l’Iran qui se joue. Le pays dispose de tous les atouts pour devenir un grand émergent : 80 millions d’habitants éduqués (taux d’alphabétisation de 93 %) ; plus de 500 000 diplômés de l’enseignement supérieur par an ; une classe moyenne et des entrepreneurs dynamiques ; 11 % des réserves de pétrole et 16 % des réserves de gaz mondiales ; de très bonnes infrastructures routières ; une position commerciale clé qui pourrait faire de Téhéran l’un des carrefours de la mondialisation.
L’Iran a deux évolutions à long terme possibles : le modèle chinois, qui associe le choix du capitalisme avec la défense de valeurs et d’institutions irréductibles à celles de l’Occident ; ou bien la neutralisation progressive de la théocratie par la société iranienne. La décision ultime reviendra naturellement aux Iraniens.
(Chronique parue dans Le Point du 20 avril 2017)