Le nouveau régime hyperprésidentiel, qui sera validé par le référendum d’avril, confie tous les pouvoirs au chef de l’État.
Recep Erdogan a mis à profit le coup d’État militaire avorté du 15 juillet 2016 pour organiser, le 16 avril prochain, un référendum qui entend redessiner la Constitution de la Turquie. Le nouveau régime, hyperprésidentiel, confie tous les pouvoirs au chef de l’État. Il pourra légiférer par décret, arrêter le budget, déclencher l’état d’urgence, nommer à tous les postes de l’État, y compris la magistrature.
Le président sera également chef des armées et des services secrets tout en assurant la direction de l’AKP. Tout contre-pouvoir est supprimé : les ministres ne sont responsables que devant le président ; le Parlement est ravalé à une chambre d’enregistrement ; la justice, y compris la Cour constitutionnelle, se voit dénier toute indépendance.
La nouvelle Constitution abolira aussi les principes autour desquels Mustapha Kemal refonda en 1923 la Turquie moderne sur les ruines de l’Empire ottoman : la laïcité ; la séparation des pouvoirs politique et religieux. Elle crée une démocrature islamique, dont le symbole est l’extravagant palais présidentiel, d’un coût de plus de 600 millions de dollars, qu’Erdogan a fait élever à Ankara pour célébrer sa gloire.
Le coup d’État légal a débuté dès le lendemain de la tentative de putsch. L’installation d’un état d’urgence permanent a transféré tous les pouvoirs au président tout en lui permettant d’ériger les purges en méthode de gouvernement. Thucydide remarquait qu’« il est dans la nature de l’homme d’étendre son pouvoir sur ce qui ne lui résiste pas ». Erdogan a donc entrepris de détruire systématiquement les personnes, les entreprises ou les institutions susceptibles de lui résister.
Plus de 45 000 personnes, dont 59 députés du parti prokurde HDP et 162 journalistes, ont été incarcérées dans l’arbitraire le plus total. Plus de 130 000 fonctionnaires ont été limogés, dont 3 840 juges, quelque 30 000 enseignants et 4 500 universitaires. Simultanément, 2 100 écoles ou universités ainsi que 149 médias ont été fermés. Un régime de censure est appliqué à l’enseignement, aux médias et aux réseaux sociaux, qui n’épargne pas Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature. Quelque 10 milliards de dollars d’actifs ont été confisqués et confiés à des oligarques proches du président tandis que les participations dans les sociétés cotées étaient autoritairement transférées au fonds souverain afin de financer les grands travaux décidés par le chef de l’État : troisième aéroport d’Istanbul, second canal du Bosphore et lignes ferroviaires à grande vitesse.
La Turquie présente ainsi tous les traits de la démocrature, dont Vladimir Poutine a élaboré le modèle : centralisation de tous les pouvoirs entre les mains d’un homme fort entouré d’un culte de la personnalité ; fusion de l’État, du parti dominant, de l’armée et des services secrets ; contrôle de l’économie par des oligarques liés personnellement au chef de l’État ; quadrillage de la société par la mise au pas des médias et un gigantesque effort de propagande ; exaltation du nationalisme et de la religion – en l’espèce l’islam sunnite ; entretien d’un climat de guerre civile à l’intérieur et expansion impériale à l’extérieur – via l’opération « Bouclier de l’Euphrate » en Syrie qui a pour première cible les Kurdes et non pas les djihadistes ; mobilisation des masses contre l’Occident.
La démocraturisation de la Turquie a des conséquences majeures. L’économie chute en même temps qu’elle se coupe des marchés et des financements internationaux. La récession s’installe depuis la fin 2016, sur fond de baisse des exportations et de diminution de plus de 30 % du tourisme. La stagflation s’impose, avec une inflation à 8 % et un chômage touchant plus de 12 % de la population active. La livre a perdu 20 % de sa valeur en un an et les capitaux fuient massivement le pays. La paix civile a disparu avec la division et la polarisation de la nation, la multiplication des attentats islamistes et la relance par Ankara des affrontements armés avec les Kurdes.
Dans l’ordre international, la Turquie participe aux efforts déployés par la Russie pour créer une ligue des démocratures contre les démocraties. De concert avec Moscou et Téhéran, elle promeut un partage de la Syrie en zones d’influence et cherche à acter le départ des États-Unis d’Irak afin de reconquérir le Kurdistan. Elle instrumentalise les réfugiés pour faire pression sur l’Union européenne, et avant tout, non sans succès, sur l’Allemagne. Il convient pour l’Europe de prendre acte de la disparition de toute communauté de destin ou de valeur avec la Turquie en interrompant le processus d’adhésion à l’Union et en suspendant sa participation au Conseil de l’Europe.
(Chronique parue dans Le Figaro du 06 mars 2017)