Nicolas Baverez décrypte pour Le Journal du Dimanche le programme économique de Marine Le Pen et les risques d’une sortie de l’euro.
La France est en situation d’extrême urgence au terme de quatre décennies de décroissance, de chômage de masse, de déficits commerciaux et d’explosion de la dette publique. L’élection présidentielle constitue la dernière occasion de redresser notre pays de manière démocratique. Et il n’existe plus aucun droit à l’erreur, au moment où le contexte financier se dégrade avec la remontée des taux d’intérêt comme l’environnement géopolitique avec le renforcement des menaces du djihadisme et des démocratures. Dans ce moment critique, Marine Le Pen défend un programme économique fondé sur l’accélération des dépenses publiques, le recours au protectionnisme et surtout la sortie de l’euro. Cette dernière proposition la distingue de tous les autres candidats. Elle est indissociable d’un risque de faillite de la France qui provoquerait un krach financier mondial.
Les engagements de Marine le Pen représentent quelque 150 milliards d’euros de dépenses nouvelles. Sont prévus la création de 15.000 postes de policiers et de gendarmes ainsi que de 50.000 postes de militaires dans le cadre d’un budget de la défense porté à 3% du PIB (pour un coût de 20 milliards d’euros), la hausse des rémunérations dans la fonction publique, le remboursement à 100% de tous les soins de santé, l’instauration d’un cinquième régime de sécurité sociale pour la dépendance, le retour à la retraite à 60 ans (40 milliards), la revalorisation des pensions. Et simultanément une baisse des prélèvements obligatoires de 25 milliards d’euros. Le tout est supposé être financé par 58 milliards d’économies sur la fraude, l’Europe et l’immigration, qui restent virtuelles.
Le résultat pour les finances publiques est implacable. Les dépenses qui culminent déjà à 57,5% du PIB seraient portées autour de 65%, allant de pair avec une explosion du déficit de 3,3 à 10% du PIB. Les taux d’intérêt s’envoleraient, la dette deviendrait rapidement insoutenable en même temps que l’investissement des entreprises et des ménages serait bloqué, provoquant une nouvelle vague de chômage. Le protectionnisme prendrait la forme d’une taxe de 3% sur les importations et d’un impôt sur l’embauche de salariés étrangers. Ces nouveaux prélèvements amputeront le pouvoir d’achat: les importations représentent 25% de la consommation des Français. Le protectionnisme appelant toujours des représailles, les barrières douanières et réglementaires qui frapperont nos exportations les réduiront d’au moins un quart alors qu’elles représentent 30 % du PIB. Les filières exportatrices comme l’aéronautique, le luxe ou l’agroalimentaire devront soit se restructurer, soit se délocaliser. Dans ces conditions, un vaste exode des cerveaux et des entrepreneurs, des activités et des capitaux est inévitable.
La rupture la plus brutale reste la sortie de l’euro. Le Frexit ne peut en aucun cas être comparé au Brexit car l’union monétaire engage toutes les fonctions et tous les acteurs de l’économie. L’idée d’une sortie progressive et concertée est une chimère. La seule annonce d’un référendum ou d’une négociation provoquera un exode massif des entreprises, des capitaux et d’une partie de la population. Par ailleurs, elle déclenchera une attaque massive sur la dette publique française sur fond de violente crise financière, puisque le départ de la France de l’euro signifierait le démantèlement de la monnaie unique, du grand marché et de l’Union européenne.
Le Frexit constituerait une tragédie pour la France et les Français. Le retour au franc implique une dévaluation de 15 à 20% de notre monnaie. Le montant de la dette publique se trouvera augmenté de 430 milliards d’euros si la dévalutation est de 20%. Les taux seront relevés de 3 à 4 points, comme en Italie en 2011, gonflant le service de la dette de plus de 30 milliards d’euros, l’équivalent du budget de la défense. Il en ira de même pour la dette des banques – qui devraient être rapidement nationalisées pour prévenir leur faillite -, des entreprises et des ménages. Le recours à la planche à billet – au demeurant interdit par la loi depuis 1973 – porterait l’inflation entre 7 et 10% par an, laminant les patrimoines et les revenus.
Au total, la sortie de l’euro implique à terme une chute du PIB de 10 à 15%, la destruction de millions d’emplois, l’amputation du quart des revenus des Français. Elle conduirait inévitablement à un défaut de la France sur sa dette souveraine, ce qui n’est plus arrivé depuis la banqueroute des deux-tiers décrétée par le Directoire en 1797. Pour la France, ce serait le basculement du déclin à la décadence. Pour les Français, ce serait la misère, le chômage et le déclassement, comme le montre la faillite de l’Argentine de 2001 qui a fait basculer 40% des classes moyenne dans la grande pauvreté. La sortie de la zone euro est aujourd’hui le moyen le plus sûr et le plus rapide de ruiner la France et les Français.
Editorial de Nicolas Baverez paru dans Le Journal du Dimanche du 12 mars 2017.